Billet Blog
Sur son blog, décrivant ses récents entretiens avec Nicolas Sarkozy pour Philosophie Magazine, Michel Onfray qualifie l’opinion de Nicolas Sarkozy sur le déterminisme génétique de « position intellectuelle tellement répandue outre-Atlantique ».
Vivant aux Etats-Unis depuis plusieurs années, je trouve ce rapprochement entre la condition humaine selon Sarkozy et la philosophie américaine du déterminisme génétique à la fois justifié et caricatural.
Rapprochement justifié, car en effet, aux Etats-Unis, l’idée d’une prédisposition génétique à certains comportements sociaux est très répandue. Cela fait des décennies que des scientifiques américains cherchent à identifier un gène de la violence. L’attitude fataliste de l’Américain moyen vis à vis de la criminalité dans la société permet de comprendre à quel point cette idée s’est installée dans ce pays. La ferveur du mouvement évangéliste chrétien ultraconservateur contribue sûrement à faciliter cette acceptation de l’idée que certains naissent bons, et d’autres méchants.
Rapprochement caricatural, car en réalité, aucun scientifique américain sérieux ne nie l’importance de l’environnement et de l’acquis sur le développement de la personnalité des individus. Les sociologues, psychologues et politiques américains, dans leur majorité, ne pensent pas que tout est joué dès le berceau. S’ils pensent que la plupart de nos comportements sont dus à des prédispositions génétiques, ils continuent de penser que l’environnement peut contrebalancer ces prédispositions.
Si l’Américain moyen est prêt à croire que certains sont nés sous le signe de la grâce divine, tandis que d’autres portent la marque du diable, il pense tout de même que la majorité d’entre nous doit exercer son libre arbitre pour choisir entre le Bien et le Mal, malgré et grâce à son capital génétique de départ.
Il faut tout de même noter que les théories sur un gène de l’addiction, de l’obésité, de l’homosexualité, de la violence, de la maladie mentale, trouvent une résonance dans la population. Aux Etats-Unis comme en France, en ces temps incertains, les gens sont à la recherche de certitudes.
Certains universitaires mettent d’ailleurs en garde contre les dérives possibles dans le fonctionnement de la société et la responsabilisation de l’individu, contre les conséquences psychologiques du dépistage génétique pour tout.
Comment cette philosophie, qui privilégie le déterminisme génétique sur la nourriture éducative, sociale, environnementale, se traduit-elle politiquement aux Etats-Unis dans le traitement de la criminalité?
Je ne suis ni généticienne, ni juriste, ni spécialiste d’aucune sorte sur le sujet de la criminalité et de ses traitements. L’opinion que je vous livre donc ici n’engage que moi, elle est le fruit de mes observations de la société américaine. Je parle ici bien sûr en termes généraux, je parle des opinions les plus répandues chez la majorité des américains. Je ne prétends pas brosser ici un portrait fidèle de tout l’éventail philosophique américain concernant le crime et le traitement politique et social de celui-ci.
Politiquement et socialement, cette philosophie de la prépondérance du déterminisme génétique se traduit par un certain fatalisme face à la criminalité.
L’idée sous-jacente, chez les politiques comme chez les électeurs, est qu’il existe en effet des prédispositions génétiques aux comportements criminels, que le rôle de l’éducation et du social est de neutraliser cette prédisposition en l’empêchant de s’exprimer.
Malheureusement, pensent-ils, lorsque de bonnes conditions environnementales ne sont pas réunies assez tôt, et que le mauvais gène a donc profité d’un terreau fertile pour s’exprimer, il est très difficile de revenir en arrière.
D’où une justice qui privilégie la punition et ignore presque complètement la nécessité de la réhabilitation. D’où une population qui n’a jamais vraiment appris à faire la différence entre justice et vengeance. D`où un pays qui ne s’interroge ouvertement sur la peine de mort que par rapport au risque d’erreur judiciaire, mais rarement par rapport à la question éthique.
La prison américaine. Un endroit pour punir, où d’une certaine manière vous méritez tout ce qui vous arrive, puisque vous avez eu la mauvaise idée de céder à vos penchants criminels! La réhabilitation, c’est une opération de la dernière chance qu’on réserve à ceux qui n’ont pas encore plongé dans une criminalité grave.
La prison école du crime? Le viol, le racket, les gangs en prison? On constate, on en parle comme un état de fait, dans les medias, les séries télé, les campagnes électorales. On en fait même souvent des blagues. On en parle très rarement comme d’une honte pour le pays, comme d’un problème à remédier. Parce qu’enfin, que voulez-vous qu’il arrive dans une prison, cet endroit rempli de criminels, de déviants? Les bonnes gens n’y peuvent rien, sinon peut-être trouver des alternatives à la prison pour ceux des délinquants qui ne sont pas encore vus comme des criminels incurables, et à qui on juge encore utile (selon quels critères?) d’épargner cette école du vice.
Il faut s’en remettre aux sensibilités politiques locales pour espérer voir se développer des actions de réhabilitation, d’éducation, d’entrée de la culture dans les prisons. Le travail en prison est d’abord vu comme un moyen supplémentaire pour les criminels de payer leur dette à la société, de mériter la nourriture et les soins auxquels ils ont droit en prison. Le travail en prison n’est vu que secondairement comme un moyen de réinsertion.
D’ailleurs, pour ceux coupables de crimes graves, la seule réhabilitation spontanément acceptable pour la majorité des Américains, c’est la (re)découverte de la foi religieuse, les « Born Again », les convertis, qui se repentent et s’en remettent – corps et âme – au destin voulu pour eux par Dieu. Car seule la grâce divine peut, aux yeux de la majorité des Américains, délivrer un criminel de son Mal intérieur, et lui donner une vraie seconde chance.
Je ne peux pas parler des prisons américaines sans parler de la surreprésentation des Noirs en prison. Cette situation tragique est bien sûr le résultat direct d’une longue histoire de discrimination, qui continue largement aujourd’hui (éducation, logement, accès à l’emploi, avancement professionnel). Mais dans les Etats du Sud en particulier, là ou le souvenir de la ségrégation reste fort, douloureux pour les uns, nostalgique pour les autres, cette surreprésentation des Noirs en prison associée à l’idée d’un possible déterminisme génétique ne peut que renforcer les préjugés racistes.
Il est évident qu’aux Etats-Unis comme en Europe, le déterminisme génétique comme position intellectuelle sur la condition humaine est plus dominant à droite qu’à gauche. On trouvera donc chez les Démocrates américains une plus grande volonté de développer des politiques de réinsertion, de lutter contre les abus en prison, une plus grande capacité à croire à la réhabilitation – avec ou sans épiphanie religieuse. Mais il est intéressant de noter que, même chez les Démocrates, le vocabulaire du Bien et du Mal est monnaie courante, et qu’en matière de criminalité, la prévention, l’éducation et l’égalité des chances sont surtout vus comme des moyens de réduire l’effet d’un déterminisme génétique qui ne demande qu’à s’exprimer.
Après vous avoir exposé ce que je considère comme les conséquences sociétales les plus évidentes de cette philosophie américaine de la prévalence de l’inné sur l’acquis, je vous laisse méditer sur cet extrait de l’interview de Nicolas Sarkozy par Michel Onfray. On notera en effet que la position de Mr Sarkozy est extrême, même au vu de la position intellectuelle dominante aux Etats-Unis sur ce sujet: il semble penser que ce déterminisme génétique est total.
Michel Onfray – Blog, 3 Avril 2007:
« … il fait le geste d’un poing serré porté à son côté droit du ventre et parle du mal comme d’une chose visible, dans le corps, dans la chair, dans les viscères de l’être.
Je crois comprendre qu’il pense que le mal existe comme une entité séparée, claire, métaphysique, objectivable, à la manière d’une tumeur, sans aucune relation avec le social, la société, la politique, les conditions historiques. Je le questionne pour vérifier mon intuition : de fait, il pense que nous naissons bons ou mauvais et que, quoi qu’il arrive, quoi qu’on fasse, tout est déjà réglé par la nature. »