Tribune publiée dans Le Plus L’Obs
« Députée de quoi ? Où ça ? » Comme presque tous les jours, dans les couloirs de l’Assemblée nationale, il me faut reprendre l’explication : oui, ma circonscription se trouve à l’étranger, plus précisément en Amérique du Nord, et comprend deux pays, le Canada et les États-Unis. Oui, comme dix de mes collègues, je suis une députée française, élue par les Français établis hors de France, qui pour la première fois en 2012 ont pu envoyer des représentants au palais Bourbon.
Un exercice électif inédit
Notre existence n’est pas encore ancrée dans les têtes. Mes collaboratrices ont parfois du mal à faire comprendre qui je suis lorsqu’elles ont à organiser des rendez-vous. Députée canadienne ? Parlementaire américaine ? Diplomate française ? Rien de tout ça, mais pas de panique, cela viendra. Après tout, c’est à nous de donner du contenu à ce nouveau mandat, à tracer les contours d’un exercice électif inédit. Bref, un défi passionnant, mais terriblement exigeant.
« Moi, j’ai déjà du mal à jongler entre Paris et ma circonscription du Sud de la France », rigole un de mes collègues, « alors Paris-New York ! ». Il a raison, ce n’est pas facile. Et encore, je devrais lui répondre que ma circonscription, ce n’est pas que New York, même si c’est dans la grosse pomme que je disposerai dans quelques semaines d’une permanence. Non, ma circonscription, c’est une superficie de 35 fois la France, de San Diego à la frontière entre le Mexique et la Californie aux territoires du nord-ouest canadien et à l’Alaska, de la Floride à la mer du Labrador près du cercle arctique, en passant par les grands espaces centraux. Mais il a raison, mon collègue.
L’agenda parlementaire est fait pour des députés qui rentrent chaque semaine dans leur territoire, à quelques heures de TGV ou à un saut de puce en avion. Pour moi, plus que du jonglage, c’est à un savant jeu d’équilibriste entre travail législatif et présence en circonscription que je dois désormais me roder. Car, si je suis persuadée que la place d’un député, élu de la Nation, est avant tout à l’Assemblée nationale, il est hors de question que je m’éloigne de la circonscription qui est la mienne et des Français qui y sont établis, et qui m’ont élue pour les représenter.
Afin de pouvoir mener au mieux mon travail de législateur, j’ai organisé mon agenda en fonction du travail parlementaire. J’ai donc programmé mes visites en circonscription entre le jeudi matin et le lundi soir et pendant les périodes hors-session. Cela m’amènera à effectuer 6 déplacements de 5 à 10 jours d’ici la fin de l’année. Dont une longue tournée sur la côte est du 9 au 17 septembre, prévue de longue date. Mais voilà, parfois il y a des surprises.
Faire entendre sa voix à distance
28 août, 21h15, ma collaboratrice m’envoie un SMS : « Vidalies annonce l’ouverture d’une session extraordinaire le 10 septembre ». Pour le débat sur les emplois d’avenir, bien entendu, dossier sur lequel je travaille activement, étant chargée par mon groupe de suivre les questions liées au droit du travail dans le cadre de la commission des Lois. Débats programmés dans l’hémicycle les 10, 11 et 12 septembre, au moment même où je tiendrai des permanences à Montréal et Québec. Qu’à cela ne tienne, j’ai participé aux réunions préparatoires, aux groupes de travail, aux débats de mon groupe politique sur ce texte. Même à distance, je pourrai faire entendre ma voix dans l’hémicycle, en confiant une délégation de vote à un collègue, en m’associant à tel ou tel amendement.
Après tout, si la partie émergée de l’iceberg du travail d’un député se fait dans cette majestueuse salle où bat le cœur vivant de la Nation, la plus grande partie de son activité a lieu discrètement en coulisses, avec son équipe ou pendant les permanences au contact de ses concitoyens.
Cette première « péripétie » me montre en tous cas à quel point, avec mes collègues, nous allons devoir faire preuve d’adaptabilité dans les cinq années qui viennent. Mais, qui sait, notre arrivée est peut-être une bonne occasion de réfléchir à l’avenir du travail parlementaire, aux conditions dans lesquelles il s’exerce.
Avec la fin – urgente ! – du cumul des mandats, il faudra les réinventer, être plus stricts sur le contrôle de l’utilisation des moyens mis à la disposition des parlementaires, mais en même temps reconnaître la fonction de député comme une fonction pleine et entière. Pour que plus aucun d’entre nous ne s’entende dire par un parlementaire étranger surpris de la rusticité des lieux: « Mais pourquoi me recevez-vous dans le bureau de votre secrétaire ? ».