Droit de vote des étrangers : ni une lubie, ni de l’électoralisme, mais du bon sens

Tribune publiée dans Le Plus L’Obs

L’appel de 77 députés socialistes dont je fais partie, publié dans le « Monde » daté de ce mardi, a relancé un débat qui dure maintenant depuis plus de 30 ans. La 80e proposition de François Mitterrand en 1980 revient à chaque élection, sous une forme ou sous une autre.

Toujours défendue, jamais réalisée, cette arlésienne pose forcément question. Pourquoi son inscription dans la loi tarde-t-elle tant ? S’agirait-il d’une idée farfelue à visée purement électoraliste, sortie de l’imagination d’une gauche idéaliste ? La droite, prompte à dénoncer l’angélisme des socialistes, semble le penser.

Serait-ce une idée trop décalée par rapport à l’esprit de notre République, ce qui expliquerait qu’elle ne peut rester qu’à l’état de proposition ? Certains dans notre propre parti utilisent en tout cas cet argument pour s’opposer à une mesure, devenue la 50e proposition du candidat désormais président, François Hollande.

Il est donc temps d’aller plus loin dans la défense de cette mesure, qui n’est pas la lubie d’une gauche aveuglée par ses utopies. À cet égard, l’argument « nous l’avons promis tant de fois, il faut le faire » n’en est pas vraiment un. Il est l’élément qui nous pousse à vouloir accélérer le processus de décision. Puisque nous pensons la mesure juste et nécessaire, et puisque nous avons longtemps déçu en ne la mettant pas en œuvre, alors il faut maintenant passer aux actes.

Des étrangers qui font partie intégrante de notre pays

Qui sont ces « étrangers » à qui l’on veut donner le droit de vote ? À l’évidence, ils n’ont rien à voir avec l’image qu’une certaine droite veut nous en donner. Établis depuis des années sur notre sol, où ils travaillent, créent des richesses, en distribuent, où ils s’engagent dans le tissu associatif, où leurs enfants, souvent Français par droit du sol, vont à l’école, ils font partie intégrante de la vie de notre pays. Ils y paient des impôts, et même si le lien entre fiscalité et citoyenneté doit être manipulé avec une extrême précaution pour ne pas valider une conception censitaire du vote, c’est un élément important dans la reconnaissance de leur appartenance à la République.

Je connais l’argument, en partie fondé d’ailleurs, que l’on va nous retourner : citoyenneté et nationalité doivent rester inextricablement liées, sans quoi nous créerons deux catégories de citoyens, ceux de plein droit et les autres, condamnés à ne participer qu’aux élections locales.

Il est vrai que le droit de vote accordé aux étrangers n’est pas l’alpha et l’oméga de l’intégration. Ce n’est pas parce que les étrangers voteront aux élections locales qu’ils cesseront d’être étrangers. La gauche ne pourra d’ailleurs pas s’exonérer de réfléchir à un assouplissement des modalités d’acquisition de la nationalité française, qui est le vrai problème de beaucoup de résidents non nationaux et qui doit rester l’objectif final d’une intégration réussie.

Mais le lien entre citoyenneté et nationalité a déjà été remis en cause : les ressortissants européenspeuvent depuis plusieurs années voter aux élections locales là où ils résident, à l’intérieur de l’Union européenne. Dans ce contexte, il n’est pas anormal que les ressortissants non européens ressentent de l’injustice et aient le sentiment qu’ils ne sont pas traités comme des égaux. Cette réalité juridique, nous ne pouvons feindre de l’ignorer.

Expatriée, je connais l’importance du vote local

La deuxième idée que je veux développer est davantage liée à ma propre expérience d’expatriée, c’est-à-dire en fait d’étrangère dans un pays où pourtant je me sens chez moi, pour y avoir vécu et travaillé, pour avoir suivi avec passion les débats politiques qui l’animaient, et m’y être impliquée comme il est pour moi naturel de s’impliquer dans la vie de son quartier, de son district ou de sa commune.

Comme moi, beaucoup de Français établis hors de France ont construit à un moment ou à un autre leur vie en un autre point du globe. Ils n’ont pas pour autant perdu le lien avec la mère patrie. Ils tiennent à leur nationalité et aux droits civiques qui y sont associés. Acteurs à leur échelle du rayonnement français un peu partout dans le monde, ils n’imaginent pas ne pas avoir le droit de participer aux élections présidentielles ou législatives françaises, mais trouveraient peut-être plus censé de voter pour les autorités élues de la ville où ils résident réellement que pour ceux de leur commune d’origine.

Certains peuvent le faire, d’ailleurs, dans les pays qui ont mis en place le droit de vote des étrangers aux élections locales, de nombreux pays de l’Union européenne, la Nouvelle Zélande ou la Corée du Sud, par exemple.

C’est une mesure nécessaire et il est temps, plus que temps. Je ne peux comprendre l’argument qui consiste à dire qu’une telle mesure dite sociétale n’est pas la priorité des Français et qu’à ce titre, elle devrait être reportée. Il est évident que les priorités de nos concitoyens sont économiques et sociales, que chacun a avant tout besoin d’une formation ou d’un emploi, d’un revenu et d’un toit.

Mais le progrès a toujours marché sur deux jambes : questions socioéconomiques et questions sociétales vont ensemble, et les avancées des unes favorisent les avancées des autres. Ne nous cachons pas une fois de plus derrière notre petit doigt. Le droit de vote des étrangers, c’est ici et maintenant.