Déchéance de la nationalité pour les exilés fiscaux: Yann, tu fais fausse route!

Tribune publiée dans Le Huffington Post 

L’annonce par l’acteur Gérard Depardieu de son déménagement en Belgique dans des conditions qui ne laissent aucun doute sur les raisons de son départ de France – la volonté de se soustraire à la solidarité nationale et de cesser de payer l’impôt dans un pays qui, par sa politique active en faveur du cinéma français, a pourtant largement contribué à la carrière d’un comédien par ailleurs très talentueux – a amené mon collègue député et camarade socialiste Yann Galut à faire la proposition de déchoir de leur nationalité les exilés fiscaux.

L’idée de la déchéance de nationalité pour faits de délinquance avait été au cœur de la politique de Nicolas Sarkozy qui avait proposé de l’appliquer aux délinquants d’origine étrangère. Certes, la proposition de Yann Galut est de nature très différente puisqu’il ne s’agit pas ici de différencier les Français d’origine étrangère et les autres (ce qui en soi est une aberration), mais elle me paraît extrêmement problématique à plusieurs égards.

D’une part parce qu’elle stigmatise les Français de l’étranger, en faisant peser sur leurs épaules l’éternelle suspicion d’exil fiscal. C’est ignorer la très grande diversité de nos compatriotes vivant à l’étranger et la motivation qui les a poussé à s’expatrier. Certains binationaux sont nés à l’étranger et y ont naturellement fait leur vie, d’autres sont partis étudier dans une université d’un autre pays et ont trouvé là-bas un débouché professionnel ou un ou une compagne les incitant à prolonger leur séjour, d’autres encore sont partis pour poursuivre une carrière commencée en France, etc. Les raisons sont multiples, mais une chose est certaine : les recettes fiscales que la petite poignée d’exilés fiscaux font perdre à notre pays ne seront jamais aussi élevées que la richesse que ces millions de Français apportent à la France en terme de rayonnement, d’expériences, de connaissances et d’opportunités de renforcement des liens entre la France et leurs pays de résidence.

D’autre part, la déchéance de la nationalité pour les exilés fiscaux irait à l’encontre de l’esprit de l’impôt français, qui sépare très clairement soumission de l’impôt et nationalité. Contrairement aux États-Unis, un état qui au contraire soumet tous ses citoyens à l’impôt du fait de leur nationalité (ce qui fait qu’un citoyen américain est de toute façon soumis à l’impôt sur ses revenus mondiaux aux Etats-Unis, même s’il vit à l’étranger et ne perçoit aucun revenu sur le territoire américain), la France ne perçoit d’impôt qu’à raison d’un revenu perçu sur son sol. Un Français de l’étranger ne paie donc l’impôt que s’il perçoit un revenu du travail ou du capital en France. Contrairement à une rumeur soigneusement distillée par la droite pendant les campagnes présidentielle et législative du printemps 2012, jamais François Hollande n’avait proposé de mettre en place un impôt mondial contrairement à… Nicolas Sarkozy qui avait suggéré la mesure en mars 2012.

Je suis favorable à ce que nous sanctionnions très lourdement la fraude fiscale et l’exil fiscal, y compris quand ils se cachent sous le doux idiome d’ « optimisation fiscale », même si je sais à quel point il est difficile de prouver ces infractions. Rien ne me paraît plus scandaleux que de voir des personnes ayant le plus souvent largement bénéficié de la solidarité nationale s’y soustraire dès lors qu’ils n’ont plus envie d’y contribuer. Mais je refuse que l’on stigmatise les Français de l’étranger et je refuse que l’on dénature l’esprit de l’impôt français en le liant à la nationalité. La meilleure façon de lutter contre l’exil fiscal est de travailler à la convergence des fiscalités européennes, de renégocier certaines conventions fiscales, et d’avancer vers des réglementations internationales concernant les paradis fiscaux. Yann Galut est un collègue que je connais bien, que j’apprécie et avec lequel j’ai souvent l’occasion de collaborer de manière fructueuse. C’est pourquoi c’est avec d’autant plus de franchise et de force de conviction que je peux aujourd’hui lui dire : Yann, tu fais fausse route !