Français de l’étranger : le rapport Jospin et le repli sur soi

Le rapport de la Commission Jospin sur la rénovation de la vie politique a été remis début novembre au Président de la République. La Commission a notamment abordé la question de la représentation des Français de l’étranger avec la proposition de modifier le mode de scrutin pour les députés des Français de l’étranger. J’ai immédiatement réagit à cette proposition qui ne me paraît ni pertinente sur le fond ni constitutionnelle. Je suis ainsi intervenue en Commission des Lois lors de l’audition de Lionel Jospin le 27 novembre dernier:

J’ai publié la semaine dernière une tribune sur Rue89 pour expliquer les raisons de mon opposition à une modification en ce sens des modes de scrutin. Retrouvez-là ci-dessous:

Français de l’étranger : le rapport Jospin et le repli sur soi

Six mois d’activité législative intense ont fini de familiariser nos collègues siégeant à l’Assemblée nationale avec notre travail, très exotique pour eux, de députés des Français de l’étranger. Présents comme tous les autres dans les réunions de groupe, de commission et en séance, chacun a compris que nous étions des parlementaires comme les autres, impliqués dans la vie de la Nation mais tout aussi soucieux et capables d’être proches de nos électeurs.

Cheveu sur la soupe

Cette proximité, nous la faisons vivre d’abord par nos déplacements très fréquents. Entre juillet et décembre 2012, j’ai ainsi pu me déplacer dans quinze villes de la circonscription, organisant à chaque fois des permanences avec les Français qui le souhaitaient, y rencontrant les associations, les chefs d’entreprises, les chefs d’établissements scolaires, les parents d’élèves, les consuls et agents consulaires et plus globalement tous les acteurs de la communauté française. Par ailleurs, le développement des outils internet permet de développer une nouvelle forme de proximité.

C’est dans ce contexte qu’est tombée comme un cheveu sur la soupe la proposition n°8 du rapport du fameux « rapport Jospin » sur la rénovation de la vie publique suggérant de mettre fin à l’élection au scrutin uninominal majoritaire à deux tours à l’étranger pour passer à la proportionnelle intégrale dans le cadre de deux régions distinctes (Europe et reste du monde). C’est avec étonnement que j’ai découvert l’exposé des motifs :

« L’idée même d’un lien entre les électeurs et leur député semble largement illusoire pour des circonscriptions très vastes dont la plus grande couvre le tiers de la planète. »

Jospin déclare le patient incurable

Cette justification très conceptuelle pose problème à plusieurs égards : pas un seul des députés des Français de l’étranger n’a été auditionné par la commission, pas plus qu’un seul de nos électeurs. Sur quoi, alors, se base le jugement des membres de la commission sinon un présupposé intellectuel sans aucun lien avec la réalité de notre travail ?

Aucun d’entre nous ne défend « l’idée même d’un lien entre les électeurs et [les] députés », par a priori conceptuel ; c’est un lien que nous faisons vivre, par nos actions, par nos visites sur le terrain et dont nous connaissons aujourd’hui la réalité.

Reprenons : la commission considère que le lien entre les Français de l’étranger et leurs élus est trop ténu. Dont acte. C’est, je le crois, une idée largement acceptée surtout parmi les expatriés comme moi. C’est d’ailleurs pour cela que des députés représentants les Français de l’étranger ont été instaurés : il s’agissait notamment de rapprocher nos compatriotes vivant hors de France et leurs représentants.

Et c’est sur cela que la commission Jospin propose de revenir : elle constate le mal, constate qu’un remède y a été apporté, mais décide par principe de ne pas continuer le traitement et de déclarer le patient incurable. On a connu des raisonnements plus logiques.

A l’étranger, les Français s’organisent en réseau

Au fond, la commission n’a pas perçu trois éléments pourtant fondamentaux.

  • Premièrement, la victoire de candidats de gauche dans huit circonscriptions qui avaient été découpées soigneusement pour les candidats de droite montre que déjà avant l’élection, les candidats ont su trouver les moyens de créer des liens forts avec des électeurs qui ont été sensibles à des campagnes de proximité. Ce qui laisse supposer que les électeurs ont fait des choix plus complexes que des choix basés sur la simple appartenance politique des candidats.
  • Deuxièmement, la notion de superficie ne peut suffire à comparer de manière pertinente circonscription sur le sol français et circonscription à l’étranger. A l’étranger, les Français tendent à s’organiser en un réseau qui a ses lieux de rencontre. Comment ignorer le fourmillement des associations, d’abord les antennes locales des deux associations reconnues d’utilité publique, l’Union des Français de l’étranger (UFE) et ADFE-Français du Monde, mais aussi les associations d’accueil ou les chambres de commerce. Ainsi, j’ai la chance d’avoir une quantité et une qualité de rencontres avec ceux que je représente qui sont au moins aussi bonnes que celle d’un député « de métropole ».
  • Troisièmement, le renouveau des liens entre notre pays et ceux des « Français du monde » est un enjeu clé pour l’avenir. Pouvoir s’appuyer sur leurs expériences, leur connaissance des pays où ils vivent et leur créativité devra aussi être un levier du redressement de la France.

Mille fois oui à un débat

Alors, certes, le faible taux de participation aux élections législatives de juin 2012 est sans nul doute un problème. Mais quoi de mieux pour renforcer l’abstention que de passer à la proportionnelle, sur des listes couvrant soit toute l’Europe, soit la moitié du monde ? Ce serait définitivement enterrer le projet de rapprocher la France de ses expatriés.

Alors oui à la proposition de la commission Jospin de réfléchir à un redécoupage des circonscriptions pour les rendre plus cohérentes. Oui, mille fois oui, à un débat sur la représentation des Français de l’étranger. Mais non à une réforme constitutionnellement contestable qui prive les seuls Français de l’étranger d’élire un député au scrutin uninominal majoritaire.

Les propositions d’une commission d’experts ne sont que des bases de travail pour le gouvernement et les parlementaires. Je souhaite que s’ouvre un large débat sur la représentation des Français établis hors de France et, en tant que députée et secrétaire nationale du PS chargée des Français de l’étranger, je serai là pour garantir que la voix des principaux intéressés n’y est pas oubliée.