«Le mariage homosexuel et les familles homoparentales sont une évidence au Canada»

Tribune publiée dans Mediapart, échanges avec Serge Joyal, sénateur canadien

Depuis plusieurs mois, je travaille assidûment sur le projet de loi Mariage, ouvrant le mariage et l’adoption aux couples de personnes de même sexe. Le débat s’est invité partout, dans les médias bien sûr mais aussi dans les dîners en famille. En tant que députée des Français établis en Amérique du Nord, j’ai une circonscription très réceptive sur ce sujet. De l’autre côté de l’Atlantique, chez nos cousins canadiens comme nous aimons les appeler, on semble regarder les arguments des uns et des autres avec étonnement. Le Canada a ouvert le mariage aux couples de même sexe en 2005, avec le Québec qui avait amorcé cette marche vers l’égalité dès 2002.

J’ai profité de ma rencontre à Paris avec Serge Joyal, sénateur canadien, pour échanger et confronter nos points de vue.

Mariage civil, adoption, procréation médicalement assistée (PMA), non contrainte de résidence au Canada… Le Canada, qui a adopté le mariage pour tous avec toutes les mesures de filiation qui en découlent en 2005, semble être un modèle à suivre.  

Serge Joyal. L’initiative que le Canada a prise en 2005 de reconnaître le mariage civil (gai) a eu valeur de référence et d’exemple très rapidement. À l’époque, la Cour suprême de l’Etat du Massachussetts (États-Unis) était saisie de la validité constitutionnelle du mariage gai. La Cour américaine a référé spécifiquement, dans son jugement, à la loi canadienne sur le mariage gai pour conclure à sa validité dans cet État. On sait qu’il en fut de même en Afrique du Sud. Le Canada apparaît souvent aux États-Unis comme un laboratoire social. De toutes les prédictions catastrophiques et les craintes qui s’étaient exprimées pour s’opposer au mariage gai à l’époque, aucune ne s’est matérialisée. Le temps a servi d’exorcisme et la société canadienne ne s’en porte que mieux.

Corinne Narassiguin. Il n’y a jamais d’exemple à suivre aveuglément. Le gouvernement français a décidé de régler les questions liées au mariage et à l’homoparentalité en deux temps. D’abord, le mariage et l’adoption. Puis, viendra un second texte, portant sur les questions de filiation pour toutes les familles, la PMA bien sûr mais aussi notamment le statut du beau-parent. Mais une chose est sûre, le Canada donne à la France les raisons de croire en une réussite totale de ce projet de loi. Transformer les attitudes et les préjugés est chose difficile mais au Canada aujourd’hui, plus personne ne remet en cause les droits des homosexuels. 

L’immigration française est importante au Québec, représentant 7,1% des immigrants de l’année 2010. Le climat au Canada par rapport aux droits des homosexuels étant plus apaisé, les projets familiaux homoparentaux pourraient être une raison de cette immigration.

CN. Les Français de l’étranger installés au Canada viennent d’abord pour les opportunités d’emploi. Mais si l’homosexualité ou l’homoparentalité ne sont pas ce qui a pu motiver des milliers de Français à migrer vers le Canada, elles n’en sont pas moins des raisons de leur installation prolongée. Au quotidien, cela semble plus facile. Aller chercher son enfant à l’école, pouvoir l’emmener à l’hôpital en cas de besoin, partir en voyage à l’étranger… La reconnaissance pleine et entière des droits des couples de même sexe depuis plusieurs années a permis une intégration complète de ces familles dans la société canadienne d’aujourd’hui.

SJ. Prenons le cas des étudiants français : un nombre important d’entre eux viennent maintenant au Canada, et la majorité choisissent des universités au Québec. Ils étaient près de 9 000 en 2010 alors qu’à l’opposé il n’y avait que 1 200 étudiants canadiens en France. Il y a 30 ans, la tendance était inversée. Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce renversement de situation mais il ne fait aucun doute que l’ouverture de la société canadienne aux différences d’orientation sexuelle, au mariage gai, à l’adoption, à la procréation assistée, concourent à créer une aisance d’être qui est certainement attirante pour les nouvelles générations. Ce qui prévaut ici c’est faire sa vie, sans contraintes de structures ou de complications envahissantes. Le poids politique de l’Église est quasi inexistant : la religion est une affaire strictement personnelle que chacun règle dans son for intérieur. Cette liberté crée une ambiance sociale qui a certainement de l’attrait pour nombre de personnes.

De nombreux témoignages attestent l’impossibilité de voir une famille homoparentale être reconnue comme telle en France, posant des contraintes pour la mobilité de ces familles. Actuellement, le décalage législatif entre la France et le Canada pose des difficultés aux citoyens canadiens comme français.

CN. Que ce soit en France ou au Canada, la situation de familles homoparentales est une réalité, seulement il est un pays où la loi reconnaît leur existence. Deux femmes sont ainsi venues me parler de leur petit garçon né par PMA au Québec l’année passée. Toutes deux sont reconnues comme mamans, aucune mention n’est faite de l’identité de la mère biologique. Elles sont ainsi venues me témoigner du refus de la France de transcrire l’histoire familiale de leur fils.

SJ. Ce qui me frappe dans l’hésitation de la France à légiférer sur l’homoparentalité c’est qu’au moment où la France et le Québec viennent de signer une entente de reconnaissance réciproque des équivalences professionnelles dans une foule de domaines, dans le but de faciliter la mobilité d’établissement entre le Canada et la France et de profiter au maximum de la future entente de Libre-échange Canada-É.U., c’est qu’il faut, c’est certain, ajuster les conditions de vie familiale entre nos deux pays. Si on veut profiter au maximum de ce rapprochement de société, il est plus que souhaitable que la France ouvre l’homoparentalité aux gais et lesbiennes. C’est ce qu’on appelle normaliser les conditions de vie familiale dans deux pays parmi les plus évolués et les plus libres au monde. Nous partageons un même humanisme et c’est ce qui rend fondamentalement nos deux sociétés compatibles.

Le Canada semble regarder avec circonscription le débat qui cristallise la droite française.

CN. Il est vrai que, comme le mariage homosexuel et les familles homoparentales sont désormais une évidence au Canada, j’ai reçu de nombreux témoignages d’étonnement de nos concitoyens établis en Amérique du Nord, qui pensaient la France prête à reconnaître l’égalité des droits. Les multiples manifestations spontanées au Canada (500 personnes à Montréal par exemple, 200 à Québec) en soutien à la manifestation du 27 janvier dernier sont symptomatiques de cette surprise et de cette indignation.

SJ. On s’étonne que dans ce débat, on n’ait pas réalisé l’impact qu’aurait un refus par la France de reconnaître le mariage gai pour les droits des homosexuels à travers le monde. On allèguerait le refus français pour durcir les peines contre l’homosexualité : en Russie ce serait pour punir deux personnes de même sexe qui s’embrassent sur la rue; en Ouganda ce serait pour encourager la violence physique contre les gais; aux Etats-Unis, dans les Etats de la « Bible Belt », ce serait pour proscrire le mariage gai. Le tort causé par ce refus serait énorme. La France peut confirmer son leadership moral à l’égard de la reconnaissance des droits des minorités en légiférant sur le mariage gai. C’est ce qu’on espère qui résultera de l’engagement des parlementaires français.