Députée des Français de l’étranger, mon élection a été invalidée : mes explications

Tribune publiée dans Le Plus L’Obs

Deux députées PS des Français de l’étranger, Daphna Poznanski et moi-même, avons vu notre élection invalidée par le Conseil Constitutionnel après 8 mois de mandat. Nos comptes de campagne ont été rejetés par la Commission nationale des comptes de campagne (CNCCFP). Pourtant, chacune de nos recettes et dépenses ont été validées comme légales au regard des règles de campagne et plafond autorisés. La sincérité des comptes et du scrutin n’est pas en doute. La sévérité de la décision, qui s’accompagne d’une inéligibilité d’un an, a surpris.

Jean-Jacques Urvoas, député PS qui préside la commission des Lois de l’Assemblée nationale a notamment souligné que les règles sur lesquelles s’est appuyée la CNCCFP n’existaient pas au moment de la campagne.

Philippe Houillon, député UMP ancien vice-président de l’Assemblée nationale et ancien président de la commission des lois, a également « regretté cette décision ».

Petit retour sur les faits. J’ai lancé ma campagne extrêmement tôt, début 2011, et commencé, selon la loi, à tenir des comptes de campagne dès le 1er juin 2011. Mon mandataire financier a été dûment déclaré et il a ouvert un compte bancaire de campagne à Paris dès le mois d’avril.

Devant l’impossibilité de régler certaines dépenses avec des moyens de paiement internationaux et d’encaisser des petites recettes de campagne en espèces, mon mandataire financier (résidant à New York) a aussi ouvert un compte bancaire à New York que j’ai initialement alimenté en tant que candidate par des fonds personnels dédiés à la campagne.

Des nouvelles limites imposées

C’est l’existence de ce compte qui a conduit la CNCCFP à rejeter mes comptes de campagne. Or, à ce moment-là, la loi autorisait l’ouverture de comptes bancaires à l’étranger pour faire face aux problèmes de transactions bancaires internationales. Ce n’est que le 5 octobre 2011 qu’un décret publié au JO a posé des limites. L’essentiel des dépenses effectuées depuis le compte bancaire new yorkais ont eu lieu durant ces premiers mois de campagne.

Ces dépenses ont, au final, constitué environ 12% des dépenses totales de campagne, et en réalité moins de 10% si on exclut les frais bancaires internationaux. Ce volume de dépenses – hors compte bancaire de campagne français – a été toléré (comptes validés) pour d’autres candidats à l’étranger ayant réglé des dépenses directement de leur poche.

Durant les premiers mois de tenue obligatoire des comptes de campagne, la CNCCFP a généralement été incapable de répondre à nos questions, pour ce qui est de la spécificité des campagnes à l’étranger. Ainsi, le guide du mandataire financier à l’étranger n’a été publié qu’en décembre 2011. Le flou juridique a persisté jusqu’en mars 2012, date de publication du dernier décret d’application.

Enfin, chacune des recettes et des dépenses effectuées ont été considérées comme valides dans le cadre d’une campagne électorale, et j’étais très loin du plafond de dépenses autorisé (environ 50%). On peut donc affirmer que les problèmes techniques qui me sont reprochés n’ont eu aucun impact sur le scrutin.

Cette inéligibilité s’applique de la même manière à au moins sept autres candidats à l’étranger pour des raisons similaires, alors qu’aucun soupçon de fraude ni de mise en cause de leur bonne foi n’a été émis, comme l’a relevé Alain Tourret, député (PRG) membre de la commission des lois.

Mais tournons-nous vers l’avenir. De nouvelles élections vont avoir lieu. La question qui se pose désormais est : comment les futurs candidats à l’étranger doivent-ils interpréter la jurisprudence ainsi produite par la CNCCFP et le Conseil Constitutionnel ? Avant de répondre à cette question, une précision supplémentaire est nécessaire. Pour toutes les circonscriptions à l’étranger, la loi autorise la désignation d’un mandataire financier délégué par pays (un seul quelle que soit la taille du pays), afin de régler les dépenses dans ce pays.

Des situations intenables 

Pour bien comprendre, prenons maintenant quelques cas concrets spécifiques à une campagne électorale à l’étranger, à l’usage des futurs candidats.

1. Vous louez une salle à bas prix dans un petit centre associatif pour une réunion publique de campagne, le paiement doit impérativement se faire sur place au moment de la réunion par chèque en monnaie locale ou par carte de crédit. Que faites-vous ?

a. Votre mandataire financier utilise un compte bancaire local ouvert pour la campagne à son nom et vous donne un chèque à remettre le jour de la réunion publique. C’est ce que j’ai fait.

Verdict de la CNCCFP et du Conseil Constitutionnel : illégal car double compte de campagne.

Recommandation de la CNCCFP : nommer un délégué mandataire financier qui peut régler les dépenses locales.

Inconvénient de la recommandation : le décret du 5 octobre 2011 interdit l’ouverture d’un compte bancaire local financé par les fonds de campagne, avec ou sans mandataire financier délégué. Donc le mandataire financier délégué doit avoir les moyens d’avancer toutes les dépenses locales avant de se faire rembourser depuis le compte bancaire français par le mandataire financier.

À savoir : dans mon cas, le Conseil Constitutionnel a implicitement jugé que mon mandataire financier résidant aux Etats-Unis ne pouvait être considéré comme mandataire financier « délégué aux Etats-Unis », bien que la loi ne l’interdise pas explicitement.

b. Vous payez vous-même la facture et vous vous faites rembourser par le mandataire financier. C’est ce que Daphna Poznanski a fait.

Verdict de la CNCCFP et du Conseil Constitutionnel : illégal car tout doit être réglé par le mandataire financier ou son délégué, bien qu’il habite à New York alors que votre réunion a lieu à Los Angeles.

c. Vous prenez avec vous la carte bancaire de votre mandataire financier pour régler la facture. Illégal dans toute campagne, en France ou à l’étranger. Détectable par la CNCCFP ? Je n’en sais rien, sachant que c’était illégal, je ne l’ai pas fait.

d. Vous voyagez avec votre mandataire financier uniquement pour qu’il puisse régler toutes vos dépenses, parce qu’il n’a rien d’autre à faire dans la vie que vous accompagner partout, et parce que vous (ou lui) avez les moyens de payer tous ses frais de transport et d’hébergement. Certes, c’est parfaitement légal, mais pas forcément réaliste, surtout quand on sait que les frais de déplacement du mandataire financier ou de son délégué ne peuvent en aucun cas figurer dans les comptes de campagne, et sont donc non remboursables.

e. Vous n’utilisez pas les centres associatifs à bas coûts, parce que vous avez les moyens de tenir toutes vos réunions publiques dans des hôtels internationaux offrant tous les services payables à l’avance par internet ou téléphone par votre mandataire financier.

f. Vous ne faites pas de réunions publiques sauf dans les consulats et ambassades qui peuvent vous recevoir, vous utilisez internet et votre poids médiatique pour faire campagne.

2. Vous décidez de lever des fonds tout à fait légalement par vente d’objets de promotion électorale, par exemple des t-shirts, ou par bénéfices sur des repas appelés banquets républicains dans le droit électoral.

a. Pour une transparence totale, vous déposez les fonds collectés en espèces (devises locales hors zone euro) sur un compte bancaire local au nom de votre mandataire financier, afin de pouvoir transférer cet argent vers le compte bancaire de campagne en France pour respecter la traçabilité exigée par la loi, avant de pouvoir dépenser cet argent. C’est ce que j’ai fait.

Verdict de la CNCCFP et du Conseil Constitutionnel : illégal car utilisation d’un double compte de campagne.

b. Vous donnez ces fonds en espèces à un ami, qui en échange vous fait un chèque en euros ou un virement bancaire comme si c’était un don, pour lequel il peut demander un reçu fiscal. Totalement frauduleux, mais probablement indétectable par la CNCCFP.

c. Vous dépensez ces fonds en espèces localement dans le même pays, pour la campagne. Illégal, car toute recette doit passer par le compte de campagne en France avant d’être dépensée.

d. Vous payez (non remboursé, hors comptes de campagne) le billet d’avion de votre mandataire financier pour qu’il puisse déposer les espèces sur le compte bancaire en France. Totalement légal mais totalement non rentable.

e. Vous mettez l’argent en espèces dans votre poche. Totalement frauduleux, mais probablement indétectable par la CNCCFP.

f. Vous n’avez pas besoin de lever des fonds par petites collectes en espèces car tous vos donateurs peuvent faire des chèques en euros, ou alors des chèques en devises locales ou des virements bancaires internationaux dont l’encaissement vous coûtera cher en frais bancaires, ou encore vous avez vous-même des fonds suffisants à avancer.

3. À l’étranger, le plafond de dépenses de campagne exclut les frais de transport et d’hébergement. Pour ces derniers, il n’y a aucune limite à vos dépenses, mais il y a par contre une enveloppe maximale de remboursement.

a. Dans votre circonscription il est facile pour votre mandataire financier de payer tous les frais de transports et d’hébergement à l’avance par internet ou par une agence de voyage. Pour les tickets de bus, métro et frais de taxis que vous avez dû payer vous-même, vous ne déclarez que de menues dépenses. Tout va bien, vos comptes sont validés.

b. Dans votre circonscription il faut payer beaucoup de frais de transport ou d’hébergement sur place, trois possibilités déjà décrites aux 1b, 1c, 1d.

c. Une partie de vos frais sont payés à l’avance par votre mandataire financier, pour le reste c’est moins clair. Vous ne réclamez de remboursement que pour la partie qui est irréprochable, pour le reste vous ne déclarez rien car vous avez les moyens d’absorber ces coûts, qui ne valent pas de risquer une possible inéligibilité.

Le risque de l’inéligibilité

On le voit bien, faire le choix d’une longue campagne de proximité à l’étranger, c’est prendre le risque de l’inéligibilité. Cette situation ne peut pas perdurer. Cette nouvelle jurisprudence n’est pas praticable car elle donne un avantage substantiel aux candidats avec de gros moyens financiers, faisant campagne grâce à leur nom, leur poids médiatique et par de gros événements payables de Paris.

Jean-Jacques Urvoas a déjà proposé que la Commission des lois ait une réflexion à ce sujet. J’accueille très favorablement cette initiative.

Même si la courte durée d’une campagne de partielle permettra de limiter les risques pris par les candidats, il serait bon que de nouveaux décrets soient publiés avant les prochaines partielles à l’étranger pour autoriser l’ouverture de comptes bancaires locaux dans tous les pays (et pas uniquement – comme c’est le cas aujourd’hui – dans des pays où la transparence de la comptabilité bancaire peut être mise en doute plus facilement qu’aux Etats-Unis).

Il faudrait également autoriser plus de flexibilité dans le règlement de dépenses par le candidat ou par un tiers tant que tout est traçable et remboursé par le mandataire financier, lorsque la distance géographique le justifie.

Je me suis arrêtée ici à quelques exemples emblématiques, mais les problèmes liés au droit électoral pour la tenue des comptes de campagne à l’étranger sont bien plus nombreux, et s’ajoutent à ceux que connaissent déjà depuis longtemps les candidats en France. Lorsque le respect de la lettre de la loi peut inciter les candidats à détourner l’esprit de la loi pour éviter la sanction, lorsque la loi crée une rupture d’égalité entre candidats, c’est que la loi qui est mauvaise.