La semaine dernière, le Sénat a voté le projet de loi adopté quelques jours plus tôt à l’Assemblée Nationale, relatif à la représentation des Français établis hors de France.
Ainsi, à partir de 2014, l’Assemblée des Français de l’Etranger (AFE), rassemblant les élus locaux et constituant le collège électoral des sénateurs des Français établis hors de France, sera profondément rénovée. Cette réforme a été complexe à mettre en forme, avec des consensus parfois difficiles à trouver, mais elle est sans aucun doute un grand pas dans la bonne direction, un premier pas qui en appelle d’autres.
Avec cette réforme, des avancées très positives vont permettre de renforcer la représentation démocratique des Français de l’étranger. Voici les points forts de cette loi.
- Un maillage local plus dense, avec l’élection des conseillers consulaires qui siègeront au sein de conseils consulaires et pourront intervenir sur tous les sujets concernant les Français de leur circonscription consulaire : enseignement français, protection et action sociale, sécurité, formation professionnelle, emploi. Ceci permettra de rapprocher les électeurs de leurs élus locaux, pour que les réalités locales soient mieux prises en compte.
- Le maintien d’un collège de conseillers qui siègeront à l’Assemblée des Français de l’Etranger, se réunissant deux fois par an à Paris et disposant de moyens de travail collaboratif entre les sessions parisiennes. Cet échange d’information et ces réflexions communes à l’échelle mondiale sont extrêmement importantes pour repérer les situations particulières comme les problématiques largement partagées, pour interagir plus directement avec le gouvernement et l’administration du ministère des Affaires étrangères en charge des Français de l’étranger, pour avoir un accès plus facile à tous les parlementaires représentant les Français de l’étranger.
- L’élection du président de l’AFE par et parmi les conseillers AFE. Cette demande ancienne et unanime des conseillers AFE va enfin permettre à cette institution de sortir de la tutelle de fait du ministère des Affaires Etrangères (le ministre était jusque-là président de droit de l’AFE), ce qui posait problème pour une assemblée d’élus.
- L’obligation de parité alternée pour les candidatures. Ceci met enfin le scrutin local des Français de l’étranger aux normes en vigueur depuis de nombreuses années en France.
- La multiplication par trois (au moins) du collège électoral des sénateurs des Français établis hors de France, grâce à la création des conseillers consulaires et des délégués consulaires. Le collège électoral actuel (155 élus) est bien trop restreint pour l’élection au suffrage indirect de 12 sénateurs. Cette mesure est saine pour la démocratie.
- La limite de trois mandats consécutifs pour les conseillers consulaires et AFE. Cette mesure favorisera le renouvellement et limitera les risques de conflits d’intérêts lorsque les élus se « notabilisent ». Je souhaite que cette innovation serve d’exemple pour tous les mandats électoraux, et regrette vivement que les députés qui ont proposé cette même limite pour les parlementaires soient encore si minoritaires aujourd’hui.
- La réaffirmation du rôle civique et citoyen des associations représentatives au niveau national des Français de l’Etranger. Ceci conforte le travail fait par les associations reconnues d’utilité publique Français du Monde et Union des Français de l’Etranger, y compris pour l’information et la mobilisation des électeurs, même s’il leur est maintenant explicitement interdit de financer les campagnes électorales.
Je relève tout de même deux points présentant des marges de progression notable, qui à mon sens devront faire l’objet d’un suivi pour une deuxième étape souhaitable.
- L’élection des conseillers AFE au suffrage indirect par et parmi les conseillers consulaires. Etant contre le suffrage indirect en général, et étant à ce titre partisane d’une réforme profonde du mode électoral du Sénat, j’ai de fortes réserves sur le système de scrutin adopté dans cette réforme.
Je crains que le suffrage indirect fasse des conseillers AFE des élus locaux dont l’ancrage local est difficile à comprendre pour les électeurs.
J’anticipe aussi la tentation pour beaucoup de voir dans l’élection des conseillers AFE par les conseillers consulaires une forme de « pré-sénatoriale », un détournement qui minerait fortement l’avancée démocratique obtenue par l’augmentation significative du collège électoral des sénateurs des Français de l’étranger.
Je souhaite donc que l’on observe attentivement le déroulement des élections municipales de 2014, permettant pour la première fois l’élection simultanée au suffrage universel direct des conseils municipaux et des communautés d’agglomérations. Ce système pourrait s’avérer un bon modèle pour une future réforme du scrutin pour les conseillers consulaires et AFE.
- Le maintien du statut purement consultatif des conseillers consulaires et AFE. Cette réforme aurait pu être l’occasion de donner des pouvoirs délibératifs spécifiques aux élus locaux. Malheureusement certaines évolutions sont lentes, il faut se souvenir que la représentation démocratique des Français de l’étranger date seulement de 1982.
Les conseils consulaires seront présidés par le chef de poste consulaire, comme jadis les conseils généraux étaient sous la tutelle des préfets. Après un temps d’évaluation du fonctionnement effectif de ces conseils consulaires, ce point pourrait être revu pour renforcer la place des élus par rapport à l’administration consulaire.
En règle générale, l’AFE reste purement consultative, c’est le statu quo. Or, au vu des avancées faites en France en matière non seulement de décentralisation, mais aussi de démocratie participative dans les conseils de quartier, il n’est pas déraisonnable de vouloir responsabiliser les élus dans leurs prérogatives. Je pense en particulier à un pouvoir de décision sur certaines modulations de barèmes pour l’aide à la scolarité ou l’aide sociale dans des contraintes budgétaires données, sur l’utilisation de certaines enveloppes budgétaires attribuées par le parlement aux services aux Français de l’étranger, ou encore à l’obligation de consulter l’AFE pour avis non contraignant – avant le vote du parlement – sur l’établissement ou la modification de conventions fiscales ou du droit de la famille.
Je propose donc ces sujets de réflexion pour une future étape de la décentralisation qui inclurait les Français de l’étranger.
Au-delà des avancées immédiates de cette réforme de l’AFE, et des réflexions sur l’avenir des élus locaux, le prochain chantier concernant la représentation démocratique des Français de l’étranger est celui de la modification du mode de scrutin pour les élections législatives. Avec l’introduction d’une dose de proportionnelle au niveau national, et la faible participation électorale des Français de l’étranger – fort mal comprise en France comme l’a très bien expliqué Boris Faure, la tentation est grande de remettre en cause le découpage en 11 circonscriptions au scrutin uninominal pour les Français de l’étranger, à la faveur d’un scrutin proportionnel. J’avais eu l’occasion de dire mon opinion à ce sujet en Commission des Lois de l’Assemblée Nationale lors de la publication du rapport Jospin sur la rénovation de la vie publique. Je continuerai à défendre l’idée que les Français de l’étranger sont des citoyens comme les autres aux yeux de la République, et que cette égalité citoyenne doit se traduire pleinement dans la représentation démocratique.