Tribune publiée dans Le Plus L’Obs
Il y a beaucoup à dire sur le contenu politique du retour de Nicolas Sarkozy, et les réactions politiques abondent. J’y participe bien sûr volontiers en tant que porte-parole du Parti socialiste.
Mais je voudrais ici aller au-delà de la personne de Nicolas Sarkozy pour apporter ma perspective d’ancienne Française de l’étranger.
Certes, le fait que tant de militants UMP attendaient le retour de Nicolas Sarkozy comme celui du messie en dit long sur l’échec de l’UMP à se reconstruire après leur défaite de 2012 et à participer pleinement au débat démocratique comme premier parti de l’opposition.
Mais surtout, cela en dit long sur la difficulté qu’a la classe politique française à se renouveler, et sur le degré d’acceptation de ce manque de renouvellement dans la culture politique française.
Pas de renouvellement dans la culture politique française
Dans quel autre pays voit-on d’anciens chefs de l’exécutif battus revenir pour être de nouveau candidat à la plus haute responsabilité de l’État ? En Italie avec Silvio Berlusconi… Est-ce vraiment un exemple à suivre ?
Au Royaume-Uni, on n’a jamais vu un premier ministre battu se poser en incarnation du renouveau, à l’exception d’un Winston Churchill dans le contexte très particulier de la reconstruction d’après-guerre.
En Suède, où des élections générales viennent d’avoir lieu, le changement de dirigeants est la pratique normale après une défaite électorale nationale.
Alors qu’en Allemagne le courage réformiste de Gerhard Schröder est maintenant salué par tous, ce dernier s’est logiquement retiré de la vie politique après sa défaite face à Angela Merkel.
Aux États-Unis, aucun ancien Président battu après un mandat n’envisagerait une seconde de se présenter à une nouvelle élection. Si d’aventure Barack Obama n’avait pas été réélu en 2012, personne – ni dans la classe politique et à commencer par lui-même, ni parmi les citoyens – n’aurait considéré comme politiquement légitime une nouvelle candidature à l’élection présidentielle de 2016, et ce malgré son jeune âge et son extraordinaire charisme.
Pourquoi ? Tout simplement parce que la culture politique dans ces pays, comme dans la plupart des démocraties, encourage, exige même, le renouvellement politique.
Pour répondre à la défiance grandissante des citoyens envers la classe politique française, il faut absolument changer les mœurs politiques. On ne peut plus continuer à trouver normal que l’engagement politique soit un métier dès le plus jeune âge et sans départ à la retraite.
Pour que les élus soient représentatifs de la société, il faut poser les conditions du renouvellement le plus large possible, et faciliter les passerelles entre vie professionnelle et engagement politique, à tous les niveaux de la société.
L’expérience professionnelle enrichit le rôle politique
Le Parti socialiste est à l’avant-garde de ce changement nécessaire, ayant proposé dès 2010 la limitation du cumul des mandats. Le président Hollande et la majorité l’ont mise en place. Il faut attendre que cette loi porte ses fruits, tout en considérant que cela ne peut être qu’une première étape. Le débat doit continuer sur le non-cumul strict et la limitation du nombre de mandats dans le temps.
Le président Hollande a également procédé à un effort sans précédent de renouvellement en nommant au gouvernement de nombreux responsables politiques qui n’avaient jamais auparavant occupé de postes ministériels. Cela ne doit pas devenir une exception.
Récemment, François Hollande et Manuel Valls ont confié un ministère important, celui de l’Économie, à un homme qui ne vient pas des circuits politiques habituels mais du monde professionnel. On aurait dû se réjouir qu’une telle expérience vienne enrichir le travail gouvernemental. Après tout, on est prompt à accuser la classe politique d’être déconnectée du réel. Eh bien non, on a surtout entendu des moqueries sur l’identité de son ancien employeur.
Soit dit en passant, la gauche devrait pourtant se réjouir que des socialistes travaillent dans la finance. S’il y en avait plus, le monde économique s’en porterait sûrement mieux.
Des partis plus ouverts
À un tout autre niveau, lors de la campagne législative de 2012, j’avais moi-même essuyé des critiques à gauche comme à droite sur mon parcours professionnel, comme si le simple fait de travailler pour une grande banque américaine (même en tant qu’ingénieure en technologies de l’information) devait mettre en doute la sincérité de mes convictions socialistes. C’est anecdotique, c’est aussi symbolique d’un mal français.
Pour changer tout cela, il faut plus que l’initiative d’un président et d’une majorité volontaristes. Il faut des partis avec une base militante beaucoup plus large, plus ouverts sur la société civile, meilleurs à reconnaître les talents et à les soutenir pour leur faire la place qu’ils méritent.
Il faut aussi et surtout un statut de l’élu qui permette d’ouvrir les opportunités électorales à tous, et de retrouver une place dans le monde professionnel lorsque l’aventure politique s’interrompt par les urnes ou prend fin par choix.
Le Parti socialiste doit se saisir de cette question cruciale lors des États généraux qui se déroulent actuellement.
La route est longue. C’est pour cela qu’il faut s’y engager maintenant, résolument.