Tribune par Ericka Bareigts et Corinne Narassiguin, publiée dans Le Huffington Post
En cette journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leurs abolitions, au moment où le Président inaugure le Mémorial ACTe en Guadeloupe, nous célébrons la mémoire du combat de ces hommes et femmes qui a mené à l’abolition de l’esclavage.
En Outre-mer, cette mémoire est honorée à des dates différentes et incarnée par des lieux symboliques: le cimetière des Diamants en Martinique, à Saint-Denis de La Réunion au Barachois devant la statut symbolisant la révolte des esclaves lors de la commémoration le 20 décembre sous l’égide du préfet, à la maison de la sœur Anne Marie Javouhey de Mana en Guyane. Ces lieux de mémoire sont des témoignages des luttes qui ont façonnées l’histoire de notre nation. La dignité, la liberté et la fraternité, ces droits imprescriptibles sont au cœur de la lutte pour l’abolition de l’esclavage. Ces hommes et ces femmes se sont battus pour faire des droits énoncés dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen une réalité. Grâce à leur lutte, ces combattants ont renforcé notre démocratie, l’ont rendu plus diverse, inclusive et digne.
« L’oubli offense, et la mémoire, quand elle est partagée, abolit cette offense ». Ces paroles d’Edouard Glissant nous invitent à entretenir la flamme qui a animé l’esprit des individus, épris de justice et d’humanité, luttant contre l’esclavage. Les attaques subies par la France en ce début d’année, la violence des mots employés contre nos responsables politiques d’origines ultramarines et le mépris pour ces territoires lorsque Nicolas Dupont-Aignan propose d’ouvrir à nouveau le bagne de Cayenne révèlent la nécessité de poursuivre le combat contre les discriminations.
Il serait également naïf de penser que le combat contre l’esclavage est d’un autre temps. Il demeure une forme moderne d’esclavage : ateliers clandestins, mendicité et prostitution forcées touchent plus de 8600 victimes en France et 36 millions dans le monde[2]. A travers ces insultes, ces actes barbares et ces victimes, c’est notre humanité qui s’atrophie et notre démocratie qui est détériorée.
Un climat réactionnaire entretenu par l’extrême-droite et la droite extrême a libéré la parole raciste et xénophobe en France ces dernières années, et met en danger le vivre ensemble dans la République. Rappeler l’histoire du peuplement des Outre-mers, des heures les plus sombres de l’empire colonial aux réussites les plus lumineuses de la République, c’est se souvenir que la France a toujours été au carrefour des mondes, riche d’un héritage culturel divers et métissé. Ni apologie ni repentance, comprendre notre histoire, c’est embrasser la France telle qu’elle est aujourd’hui, et inventer ensemble notre futur commun.
Transmettre les clefs de la mémoire, apprendre à être vigilant et repérer les discriminations pour mieux les combattre représentent une absolue nécessité. Nous saluons les annonces qui ont été faites le 17 avril 2015 par le Premier ministre visant à lutter contre le racisme et l’antisémitisme, déclarés « Grande Cause Nationale » pour l’année 2015. Nous espérons que les mesures telles que les actions de groupe, les campagnes de sensibilisation du grand public, le renforcement des programmes éducatifs seront déclinés partout en France, en métropole comme dans les territoires ultramarins pour permettre à tous et particulièrement aux jeunes générations, de lutter contre le fléau de l’intolérance et devenir des sentinelles de la mémoire.
Que les mots d’Aimé Césaire puissent résonner à travers chacun des enfants de France, en Hexagone et dans l’Outre-mer:
« Ma bouche sera la bouche des malheurs qui n’ont point de bouches. Ma voix la liberté de celles qui s’affaissent au cachot du désespoir. » [3]
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[1] Le titre de cette tribune est tiré de l’oeuvre d’Edouard Glissant, Une nouvelle région du monde, Gallimard, 2006
[2] Rapport de l’association WalkFree
[3] Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal, in Volontés (revue), no 20, 1939, Paris, 1re édition