Tribune publiée dans Le Plus l’Obs
Le projet de loi Droits des étrangers, débattu en première lecture à l’Assemblée nationale, est sans aucun doute un texte politiquement clivant. Malheureusement, les clivages sont trop souvent déformés par les fantasmes et les mauvais calculs politiciens, plutôt que de porter sur la réalité de ce que nous proposons et de la situation française.
Un titre de séjour pluriannuel pour offrir un gage de stabilité
Nous défendons un accueil digne pour les personnes étrangères et une intégration réussie, via le titre de séjour pluriannuel pour l’ensemble des étrangers après un an de séjour en France. Actuellement, on dénombre cinq millions de passages par an en préfecture, qui équivalent à plus de deux passages par an et par étranger. La majorité de ces passages servent à renouveler le titre de séjour. Généraliser le titre de séjour pluriannuel, c’est permettre d’éviter les allers-retours en préfecture et c’est offrir un gage de stabilité, nécessité dans la recherche d’un emploi, d’un logement.
Nous renforçons l’attractivité de la France via le changement des critères du changement de statut étudiant / salarié et via le passeport talents, concrétisant ainsi un souhait de ne pas fermer nos portes, de s’ouvrir, de promouvoir les savoirs, l’esprit d’initiative et d’innovation. Nous avions déjà supprimé dès 2012 la circulaire Guéant, restreignant l’accès des chercheurs et universitaires au titre de séjour. La mobilité internationale des talents est une réalité bien établie de la mondialisation, la France a tout intérêt à en être pleinement actrice.
Une lutte humaine contre l’immigration irrégulière
Nous mettons en place une lutte ferme mais humaine contre l’immigration irrégulière, qui s’éloigne de la politique du chiffre de la droite et qui s’est avérée coûteuse et inefficace : le projet de loi fait le choix de privilégier le recours à l’assignation à résidence, organisé et sécurisé, plutôt que le placement en rétention (sauf si risque de fuite avérée). Il instaure également un nouveau cadre et de nouveaux moyens : obligation de quitter le territoire français pour les citoyens européens pour atteinte grave à l’ordre public, conformément au droit européen ; interdiction de retour pour ces individus ; nouveaux outils aux préfectures pour identifier la fraude ; doublement des sanctions envers les passeurs.
C’est l’honneur et le courage de la gauche, et des socialistes en premier lieu, que de défendre une vision positive de l’immigration et une conception inclusive et juste de la République, sans se laisser intimider par les chantages populistes faits par ceux qui instrumentalisent la crise des migrants ou les attentats terroristes pour entretenir les amalgames et diviser les Français.
Une convergence FN/ Les Républicains sur l’immigration
Marine Le Pen a qualifié ce texte de « loi criminelle », toujours aussi prompte à suggérer que les immigrés devraient toujours être présumés coupables de quelque chose et à proposer qu’ils soient privés de droits, jusqu’à remettre en cause le droit d’immigrer. À rebours de toute l’histoire de France, ce pays qui tient son beau nom d’une confédération de tribus étrangères immigrées.
Sans surprise, le parti Les Républicains en profite pour recycler les vieilles recettes de propagande politique de l’UMP : comme à chaque fois que nous, socialistes, osons porter haut nos valeurs sur l’immigration, l’intégration, la citoyenneté, la droite conservatrice nous accuse de faire monter sciemment le FN.
On reconnaît sans doute là une tendance du parti de droite à projeter sur le PS son propre cynisme électoraliste dès qu’il s’agit de droit des étrangers.
On voit surtout que ces attaques grossières sont une vaine tentative de diversion, pour cacher les convergences de plus en plus fortes entre la droite et l’extrême-droite sur les droits des étrangers.
La même peur de l’invasion, à mille lieux des réalités
Convergence sur la limitation des entrées régulières, avec des propositions de LR qui se rapprochent étrangement de celles du FN, et des discours similaires pour agiter les peurs des Français sur un sentiment d’invasion, d’explosion migratoire, à milles lieues des réalités.
Rappelons quelques faits.
- Le regroupement familial, qui est un droit consacré, sous conditions, depuis 1993 par le Conseil constitutionnel, puis par la Charte des droits fondamentaux signée avec le traité de Lisbonne en décembre 2007, ne peut pas être supprimé ni même plafonné.
- La France a moins d’étrangers sur son sol que la plupart des voisins européens : en 2012, elle comptait 5,9% d’étrangers, contre 7,6% au Royaume-Uni, 7,9% en Italie, 9,% en Allemagne, 11,2% en Espagne (source : INSEE). Elle est à la 80e position pour l’immigration derrière les États-Unis ou d’autres pays européens.
- Près d’un immigré sur deux entré en France en 2012 est né dans un pays européen, contre trois sur dix dans un pays africain.
La même diabolisation d’un faux assistanat
Convergence aussi sur l’assistanat. Là encore le LR et le FN veulent stigmatiser les étrangers, les dépeindre comme des profiteurs qui auraient plus de droits que les Français et seraient un fardeau pour la communauté nationale, au mépris de la réalité du droit social en France et des chiffres.
En 2009, en France, les immigrés recevaient de l’État 47,9 milliards mais en reversaient 60,3 milliards, soit un solde positif de 12,4 milliards d’euros pour les finances publiques.
Pourquoi opposer droit du sang et droit du sol ?
Convergence toujours sur la conception de la citoyenneté, avec l’agitation du débat autour du droit du sol. C’est la preuve la plus spectaculaire de la volonté délibérée du parti de Nicolas Sarkozy d’emboîter le pas à celui de Marine Le Pen.
La part des Français par acquisition dans la population depuis 1960 n’a que peu augmenté : 2,8% en 1962 et 4,5% en 2011. Pourquoi donc proposer des solutions ineptes à un problème inexistant ? Pourquoi opposer droit du sang et droit du sol, si ce n’est pour entretenir l’idée abjecte que certains étrangers, de part leur naissance, ne seraient pas intégrables en France
La vie politique est faite de combats, de clivages, c’est normal et même essentiel aux progrès démocratiques. Mais pas comme cela, pas sur des amalgames, des mensonges, des stigmatisations haineuses. Au nom d’une certaine idée de la France, la République mérite mieux.