Trubune publiée dans Marianne.net
En septembre dernier, Edgard Added, le président fondateur du Cercle de l’Excellence RH, publiait un « manifeste citoyen » pour inciter les salariés à solliciter des mandats électoraux. Avec un appui de poids : Jean-Dominique Sénard, président de Michelin, qui avait déjà donné l’exemple en publiant une convention facilitant la participation des salariés du groupe à des campagnes électorales et l’exercice d’un mandat électif. D’autres entreprises se sont d’ores et déjà engagées dans ce sens.
Pour aussi remarquable qu’elle soit, cette initiative a eu finalement peu de retentissement et suscite pour l’instant peu de vocations chez les salariés concernés. Car il faut se rendre à l’évidence : l’engagement politique est complètement discrédité. Pourtant, rapprocher le monde de l’entreprise du monde politique est un objectif majeur, salutaire même.
La représentation politique locale comme nationale a besoin de se renouveler, pour être à l’image de la réalité socio-professionnelle du pays, pour prendre des décisions et appliquer des politiques efficacement grâce à une expérience directe de la complexité des situations économiques et sociales.
Historiquement, les théories économiques élaborées dans les cabinets politiques sur les conseils de la haute administration se sont trop souvent fracassées sur la pratique réelle du monde de l’entreprise et du marché du travail. S’il est indéniable que nous avons depuis 2012 un pouvoir politique qui n’a jamais autant fait pour appréhender cette réalité et la transformer avec pragmatisme pour le redressement économique dans la justice sociale, la marge de progrès reste importante à tous les échelons de l’action politique.
Inversement, une entreprise ne peut que s’enrichir et être un meilleur acteur social si elle a en son sein des salariés qui maîtrisent les clefs du monde politique. Une entreprise, quelle que soit sa taille, qui comprend et sait anticiper le contexte et l’action politique, qui assume et sait faire fructifier sa place dans l’écosystème économique, social et environnemental de son territoire, est une entreprise plus forte.
Pour redonner de la crédibilité à l’action politique, il faut qu’elle soit incarnée et portée par des élus qui représentent la diversité des expériences de nos concitoyens, et donc augmenter de manière très significative le nombre d’élus issus du salariat privé.
Pour attirer nos concitoyens du salariat privé vers l’engagement politique, il faut lui redonner sa pleine crédibilité.
Le serpent se mord la queue.
Comment sortir de ce cercle vicieux ? Comment réhabiliter l’engagement politique ? Des entreprises montrent la voie en prenant leurs responsabilités. C’est maintenant aux partis et aux pouvoirs politiques de prendre les leurs.
D’une part, il faut créer un statut de l’élu. En partant des propositions faites par le Cercle de l’Excellence RH, en échangeant avec les dirigeants d’entreprises de toutes tailles et les représentants de salariés, nous pouvons nous mettre d’accord sur un statut juridique et un fonds de solidarité pour permettre aux salariés d’être en détachement partiel ou complet pendant les campagnes électorales sans perte de revenus, mener de front l’exercice d’un mandat local et un emploi à temps partiel, retrouver leur poste ou un emploi similaire à la fin d’un mandat, suite à une élection perdue ou à un choix délibéré de ne pas se représenter. Tout cela en prenant en compte bien entendu les problématiques de conflits d’intérêt entre l’engagement politique et les activités professionnelles.
Il faut assumer pleinement la création d’un tel statut, sans craindre les démagogues qui crieront à la création de privilèges supplémentaires pour ceux qui sont trop souvent dépeints comme « la caste des élus ». Car c’est justement tout le contraire dont il s’agit : mettre fin aux filières privilégiées qui rendent notre classe politique si monolithique ; démocratiser la représentation démocratique ; dire haut et fort que l’engagement politique est une belle et bonne chose pour la société, à condition d’être accessible à tous.
D’autre part, il faut poursuivre le travail commencé avec la loi sur le non-cumul des mandats parlementaires et exécutifs. Il s’agissait là d’une première étape nécessaire pour le renouvellement, une étape importante qui constitue un vrai bouleversement de culture dans le monde politique français. C’est un progrès incontestable qu’il faut applaudir et d’autant plus affirmer que la droite menace de l’abroger, incapable qu’elle est de sortir de sa logique de pouvoir politique des baronnies et des sphères d’influences réservées.
Je propose néanmoins d’aller encore plus loin, car le renouvellement restera faible si on ne libère pas les places. Les mandats parlementaires et les mandats exécutifs (à l’exception peut-être des maires de toutes petites communes) devraient être des mandats exclusifs, cumulables avec aucun autre. De plus, il faudrait instituer une limite de mandats dans le temps, par exemple une limite de deux mandats pour les fonctions exécutives et de trois mandats pour les fonctions parlementaires.
Enfin, les partis doivent faire l’effort de s’ouvrir. De repérer et former des talents venus de tous les horizons sociaux et professionnels, de travailler en partenariat avec la société civile, les mouvements citoyens, les associations, les syndicats, pour donner au plus grand nombre le goût de l’engagement politique, dans la co-construction intelligente et l’action concrète au plus près du terrain.
Je suis fière d’appartenir à un parti politique qui a compris cela, en prônant son propre dépassement. Contrairement à ce que peuvent laisser penser les forts taux d’abstention aux élections, l’engagement citoyen n’a pas diminué. Au contraire il est plus dynamique et multiforme que jamais, mais il se tient à distance des partis politiques. Le mien réagit à cela avec humilité et clairvoyance, en reconnaissant que c’est au PS de s’adapter aux nouvelles exigences de la démocratie citoyenne, et non l’inverse.
Le Parti Socialiste a entrepris une véritable mue, en refondant complètement sa politique de formation des militants et cadres du parti, et en lançant la nouvelle alliance, l’Alliance populaire. Si les idéaux de gauche ne mourront jamais, les structures politiques capables de les porter peuvent devenir insignifiantes. C’est pour cela que le Parti Socialiste doit réussir ce beau pari de l’alliance, pour créer une nouvelle dynamique citoyenne, au delà de nos cercles habituels, pour attirer et propulser les penseurs et les élus de demain, qu’ils choisissent de rejoindre le PS ou qu’ils préfèrent être des partenaires.
C’est un pari risqué, nous dit-on. En réalité, le Parti Socialiste n’a rien à y perdre et la vie politique française a tout à y gagner.