Le bien vivre ensemble social est un moteur d’efficacité économique

Tribune publiée dans Le Huffington Post

La réforme du droit du travail va faire l’objet dans les prochaines semaines d’un nouveau round de consultations. Espérons donc que cela nous permettra à tous de reprendre ce débat calmement de manière lucide et factuelle. Plutôt que s’éparpiller d’emblée dans les détails, revenons à l’essentiel: le contexte, les principes, les objectifs.

Le monde du travail est en pleine mutation: un système économique et financier mondialisé et sans cesse bousculé par des évolutions technologiques de plus en plus rapides, un rapport au travail qui change face aux incertitudes du marché et sous l’influence de l’individualisation. La question est : face à ce constat, quelle politique économique et sociale fait sens dans un contexte de chômage de masse et d’inégalités sociales persistants?

Pendant les dix années où la droite a été au pouvoir avant l’élection de François Hollande, elle a pensé sa politique économique comme un spéculateur financier intéressé uniquement par le cours de la bourse à court terme. L’absence de stratégie économique globale et de long terme, l’abandon total des politiques industrielles, le mépris de la fonction publique et des partenaires sociaux, ont conduit à une désindustrialisation sans précédent de notre pays, à un système économique aux fondations vermoulues, à un système social au bord de la faillite.

Qu’ont-ils appris de leurs erreurs? Apparemment rien. Quelles que soient les différences de personnalité des candidats à la primaire du parti Les Républicains, tous proposent essentiellement de refaire la même chose en pire, tous défendent grosso modo le même programme inspiré des années Reagan-Thatcher: démanteler le code du travail, dissoudre le droit social, casser les services publics, baisser les impôts des plus riches, réduire drastiquement les dépenses publiques, laisser faire le marché.

Dans cette doctrine libérale, les inégalités et la précarité ne sont pas des effets pervers d’un système capitaliste mal régulé, elles sont considérées comme le moteur de la création de richesse. Cette idéologie a déjà échoué à plusieurs reprises dans plusieurs pays, et dans notre pays où la République se fonde sur le contrat social entre l’Etat et les citoyens, elle est un non sens. Créer de la richesse n’est pas une fin en soi, encore moins la seule fin à poursuivre. Il n’y a pas de croissance qui vaille sans justice sociale. Un système économique qui maintient ou créé des inégalités et de la précarité est un système économique inefficace.

C’est donc à la gauche qu’il revient d’apporter des réponses. Non seulement parce que nous sommes au pouvoir, mais parce que les valeurs sociales que nous portons sont aussi celles qui sont les plus bénéfiques au redressement économique.

Soyons clairs. Face aux mutations du monde économique, être de gauche ce n’est pas inventer le néo-conservatisme social. L’immobilisme dans un monde qui avance est une régression. Etre de gauche, c’est vouloir transformer pour progresser.

Le droit du travail et le droit social ne sont protecteurs que s’ils sont adaptés aux réalités du monde économique, et donc applicables efficacement. Le monde économique aujourd’hui est fait d’entreprises de toutes tailles dans des secteurs de plus en plus divers et de plus en plus dynamiques et compétitifs à l’échelle internationale. Il est fait aussi de coopératives de l’économie sociale et solidaire, de portage salarial, d’économie collaborative et d’auto-entreprenariat. Cette complexité changeante ne peut plus être entièrement codifiée dans la loi. Chacun peut comprendre que l’organisation du travail doit être adaptée au type d’activité et à la taille d’une entreprise.

Si la loi doit fixer les principes et les droits fondamentaux, c’est donc à la négociation collective par accord majoritaire qu’il faut aujourd’hui donner toute sa place. C’est un changement de culture pour le monde du travail et le monde politique français. Il faut sortir d’une logique où le dialogue social commence et s’achève dans le rapport de force hérité de la lutte des classes.

Il s’agit d’inventer la démocratie sociale à la française, qui permette de trouver le meilleur compromis possible entre salariés et dirigeants, sur la manière dont l’entreprise doit fonctionner au quotidien, dans une convergence d’intérêts bien compris.

Chaque salarié peut comprendre qu’une entreprise qui sait être réactive et proactive face aux contingences et opportunités économiques est une entreprise plus forte, qui sera moins contrainte aux licenciements dans les périodes de crise et plus en capacité de croître et donc d’augmenter les salaires et d’embaucher dans les périodes favorables.

Chaque dirigeant d’entreprise peut comprendre qu’un salarié satisfait de ses conditions de travail est un salarié plus productif, que les conflits sociaux sont plus coûteux qu’un compromis intelligent issu d’un dialogue respectueux.

Le bien vivre ensemble dans l’entreprise est devenu un facteur indispensable d’efficacité économique. C’est pour cela que la promotion de la négociation collective est essentielle au redressement économique dans la justice sociale. C’est offrir simultanément plus de souplesse aux entreprises et plus de protections adaptées aux salariés qui y travaillent.

Dans ce nouveau monde économique du début du XXIe siècle, nous avons un autre grand défi à relever, celui de la mobilité. Aujourd’hui, chacun sait qu’il devra changer d’emploi et peut-être même de métier plusieurs fois dans sa carrière. Parce que cette mobilité est devenue la norme, elle ne peut pas continuer à être présentée et vécue comme une violence sociale. Elle doit être sécurisée et valorisée.

Avec le Compte Personnel d’Activité (CPA), nous nous engageons résolument sur la voie de la sécurité sociale professionnelle, qui permet de sécuriser les parcours individuels plutôt que les statuts. A quoi sert d’attacher des droits à un emploi qui peut devenir obsolète ? Il faut attacher les droits à la personne, pour lui permettre de faire rapidement et sans heurt la transition d’un emploi à un autre, que ce soit pour surmonter un licenciement ou par choix délibéré d’évolution de carrière.

Le socialisme français depuis Jaurès, c’est l’émancipation de l’individu par la réalisation de la République sociale. Dans le monde du travail d’aujourd’hui, cet idéal intemporel doit se traduire par le bien-être social dans l’entreprise et par la sécurisation des parcours professionnels: donner à chacun les moyens de contrôler sa carrière professionnelle, voir le travail non comme une aliénation mais comme un moyen de réalisation de soi.

Près de 20 ans après Lionel Jospin et son fameux « oui à l’économie de marché, non à la société de marché », il est grand temps que les socialistes s’approprient pleinement l’économie de marché pour en faire un outil de progrès social, d’égalité et de liberté dans la solidarité.