Tribune publiée dans Le Huffington Post
Les présidents des groupes Les Républicains à l’Assemblée Nationale et au Sénat, Christian Jacob et Bruno Retailleau, ont choisi la bataille interne de leur primaire présidentielle plutôt que l’intérêt national. Ils refusent tous les deux de voter en Congrès une réforme constitutionnelle réduite à l’article 1 sur la constitutionnalisation de l’Etat d’urgence, le cœur de la réforme, alors que cet article a recueilli sans aucun problème la majorité des 3/5 requise à l’Assemblée et au Sénat. Ils prétendent aujourd’hui qu’une telle réforme serait sans intérêt, après l’avoir votée en première lecture.
Pourquoi ce revirement ? Parce qu’ils sont incapables de mettre leurs parlementaires d’accord sur l’article 2 concernant la déchéance de nationalité, et qu’ils refusent de porter la responsabilité de leur propre échec.
Nul ne niera que cette question de la déchéance de nationalité a déchiré la gauche. Des positions diverses se sont exprimées avec force, au delà des lignes habituelles des courants et sous-courants du Parti Socialiste. Mais au final une majorité claire de socialistes et une partie des écologistes avaient accepté la solution juridique équilibrée trouvée à l’Assemblée Nationale et votée par une majorité des 3/5.
Tous ces efforts pour faire l’union nationale sur un sujet qui ne peut être ni de gauche ni de droite, la lutte contre le terrorisme, se sont brisés sur les positionnements tactiques à l’intérieur de la droite au Sénat. Contrairement aux débats qui ont eu lieu à gauche, les divergences à droite ne s’expriment pas sur des questions de fond et de principes, mais sur des alignements d’écuries présidentielles à l’approche de la primaire. Un attelage improbable de juppéistes et fillonistes a saisi l’occasion d’isoler les sarkoystes en votant délibérément une version de l’article 2 sur laquelle l’union nationale est impossible. Pourtant, si cet article 2 a été mis sur la table par le Président Hollande, c’est uniquement parce que la droite l’a exigé, comme preuve de sa volonté d’agir contre le terrorisme dans un esprit d’union nationale.
Cette attitude velléitaire et irresponsable des parlementaires Les Républicains fait tristement penser à des enfantillages.
C’est comme s’ils disaient aux citoyens français : « Comme nous n’arrivons pas à nous mettre d’accord sur l’article 2 que nous avons réclamé, nous préférons bouder et refuser de voter l’article 1 avec lequel nous sommes en fait d’accord. Parce qu’en ces temps de primaire présidentielle, la seule chose qui nous permet de dépasser nos chamailleries de personnes, c’est le plaisir partagé de mettre François Hollande en difficulté, y compris au risque de la protection de la Nation. »
Les présidents des groupes parlementaires Les Républicains tentent aujourd’hui de minimiser l’importance de la constitutionnalisation de l’Etat d’urgence, en prétextant tout à coup que l’Etat d’urgence fonctionne suffisamment bien dans sa forme actuelle.
C’est vrai que depuis la terrible nuit du 13 novembre, l’utilisation de l’Etat d’urgence a été efficace. Parce que nous avons un Président de la République, un gouvernement et une majorité parlementaire qui ont su agir avec responsabilité. Peut-on être sûr qu’un pouvoir exécutif et une majorité parlementaire futurs sauront agir aussi efficacement avec la même exigence pour le respect de l’Etat de droit ?
Car c’est bien cela qui est en jeu : la capacité de l’Etat à réagir efficacement à une attaque terroriste de grande envergure sur le sol français, dans le respect de l’Etat de droit.
L’utilisation de l’Etat d’urgence par le Président Hollande a créé un précédent. De futurs présidents dans une situation similaire voudront aussi utiliser cette disposition. On ne peut donc pas continuer à avoir dans le droit français un État d’exception qui ne soit pas encadré par la constitution.
Reconnaissons-le, à gauche personne ne se battra pour faire voter à tout prix la déchéance de nationalité. Mais aujourd’hui, le blocage est à droite, et pour le cacher et faire porter le chapeau à la gauche, ils choisissent de prendre en otage la partie la plus importante de la réforme constitutionnelle, quitte à sacrifier l’intérêt national.