Vive les familles au 21e siècle!

Tribune de Denis Quinqueton, Martine Gross, Corinne Narassiguin, publiée dans Le Huffington Post

Avec le débat sur l’ouverture du mariage et de l’adoption aux couples homosexuels, la société française a repris, il y a quatre ans, la discussion sur le dispositif juridique qui encadre la construction familiale et protège l’épanouissement de celles et ceux qui la composent. Mais ces palabres ont été très vite saturées de caricatures, dogmes et fantasmes masquant la réalité, donc l’intérêt général.

Nous prenons la parole, ensemble, aujourd’hui, pour faire valoir cet intérêt général, en se fondant sur les réalités des familles et sur les racines humanistes de notre République.

Toutes les situations familiales étaient rangées derrière le modèle du couple parental hétérosexuel – dominé par le mari – et réputé perpétuel et fécond. Des réalités différentes avaient beau dépasser de cette figure de proue, on faisait mine de ne rien voir, on condamnait, et la figure de proue était magnifiée.

Et le XXe siècle est passé par là : école obligatoire jusqu’à 14 ans puis jusqu’à 16 ans, droit de vote des femmes, autorisation de la contraception, légalisation de l’interruption de grossesse, perfectionnement de l’insémination artificielle, mise au point de la fécondation in vitro, majorité à 18 ans, légalisation du divorce, pénalisation puis dépénalisation des relations homosexuelles, créations du pacs… Ce siècle a profondément changé la société française, fait progresser la science et émancipé les individus.

La diversité des situations familiales est devenue visible. Et voilà, au XXIe siècle, des modèles familiaux avec ou sans mariage, avec ou sans divorce, recomposés ou non, en couple hétérosexuel ou homosexuel, avec ou sans enfant biologique, avec ou sans aide médicale à la procréation, avec ou sans tiers donneur.

Le point commun à ces situations différentes est, lui aussi, devenu visible : c’est le projet parental, cette volonté clairement réfléchie et patiemment mise en œuvre de « faire famille » autour, et dans l’interêt, de l’enfant. Sa concrétisation peut emprunter désormais plusieurs voies : la méthode traditionnelle, sous la couette, la méthode qui reçoit le concours de la science, et l’adoption.

Pendant ce temps la, certains prennent un malin plaisir à peaufiner la poussée d’Archimède. Il semble se confirmer que tout corps réactionnaire plongé dans la variété des familles en France se répand en stéréotypes, leçons de morale et autres clichés tandis que, plongé dans l’égalité femme-homme, le même corps dénonce immanquablement la « théorie du genre ». Rappelons que cette théorie n’existe pas et que ce vocable déforme un champ de recherche des sciences humaines et sociales. Réaffirmons l’égalité absolue entre hommes et femmes. Et enfin reprenons le débat, rationnellement, pour faire évoluer notre droit des familles, afin que ce cadre légal soit utile et sécurisant pour toutes les familles fondées, en conscience, par nos contemporains.

La société française y est prête. Un sondage IFOP du mois dernier le rappelle. 63% de nos concitoyens considèrent qu’un couple homosexuel vivant avec ses enfants « constitue une famille à part entière ». 59% sont favorables à l’ouverture de la procréation médicalement assistée aux couples de femmes. 66% veulent que la loi ouvrant le mariage et l’adoption aux couples homosexuels soit maintenue. 64% estiment que les enfants nés par gestation pour autrui à l’étranger devraient avoir « les mêmes droits que les autres enfants ».

Alors, oui, vive les familles au 21e siècle ! Les modèles se diversifient car la famille est un mode d’organisation vivant, élaboré dans nos esprits et dans nos cœurs, et non figé dans le marbre glacé d’une indépassable doctrine. Les familles, qui sont également de fameuses cellules de solidarité, ont aujourd’hui besoin de lois adéquates, parce comme souvent, ce sont des lois pertinentes qui libèrent et protègent, tandis qu’un dispositif juridique approximatif et poussiéreux opprime.

Les candidat-e-s à la 4e élection présidentielle du XXIe siècle doivent aborder ces enjeux d’avenir avec les lunettes du progrès, et non les œillères du passé. 18,5 millions de familles, plus toutes celles en devenir, l’attendent.

Signataires :

Jérôme BEAUGÉ, ancien président de l’Inter-LGBT (www.inter-lgbt.org), Erwann BINET, député de l’Isère (http://erwannbinet.fr), Laurence BRUNET, juriste, spécialiste en droit de la famille, chercheuse à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne, Jean-Marie BONNEMAYRE, president du Conseil national des associations familiales laïques (www.cnafal.org), Marie-Anne CHAPDELAINE, députée d’Ille-et-Vilaine (http://machapdelaine.fr), Gilles CLAVREUL, préfet, délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, en charge de la lutte contre la haine anti-LGBT, Jérôme COURDURIÈS, anthropologue, enseignant-chercheur à l’université Toulouse Jean Jaurès, Aurore FOURSY, présidente de l’Inter-LGBT (www.inter-lgbt.org), Maurice GODELIER, Anthropologue, Médaille d’or du CNRS, Martine GROSS, sociologue à l’EHESS, Aurélien MAZUY, président de Rainbow Rose, Caroline MECARY, avocate, Corinne NARASSIGUIN, porte-parole du PS (www.parti-socialiste.fr), Denis QUINQUETON, président d’HES (www.hes-france.org), Yohann ROSZÉWITCH, conseiller à la lutte contre la haine et les discriminations anti-LGBT à la DILCRA et ancien président de SOS homophobie, Alexandre URWICZ, président de l’ADFH (www.adfh.net), Clémence ZAMORA-CRUZ, porte-parole de l’Inter-LGBT (www.inter-lgbt.org)