La réinsertion sociale des détenus, la garantie d’une société plus sûre

Tribune par Yan Chantrel et Corinne Narassiguin, publiée dans Le Huffington Post

Les manifestations de policiers appelant à une justice plus ferme sont l’occasion pour les candidats à la primaire de la droite de relancer leurs surenchères sécuritaires, sans doute pour mieux faire oublier leur désastreux bilan en la matière.

Si les conditions et les méthodes de travail des policiers sont indubitablement une préoccupation majeure pour l’efficacité de la lutte contre la délinquance et la criminalité, le rôle de la justice dans la politique de sécurité d’un pays ne peut se résumer à une escalade de la sanction pénale toujours plus dure et toujours plus large.

Surfant sans vergogne sur les peurs légitimes des Français dans la période actuelle, tous les candidats de droite et d’extrême-droite théâtralisent au possible leurs postures autoritaires et leurs logiques punitives du tout sécuritaire, et dénoncent à grands cris une gauche qui serait nécessairement naïve, laxiste et donc incompétente.

Ainsi avaient-ils trouvé leur cible favorite en Christiane Taubira, caricaturée à l’excès et violemment prise à partie, jusqu’à l’irrationnel. La réforme pénale de 2014 et la garde des Sceaux qui l’a portée symbolisent pour eux l’illégitimité de la gauche à exercer le pouvoir.

Depuis que Jean-Jacques Urvoas est installé Place Vendôme, les angles d’attaque pour la droite et l’extrême-droite sont plus difficiles à trouver, d’autant qu’il a choisi de s’atteler au chantier des prisons surpeuplées et délabrées de France, un terrain sur lequel personne n’a jamais rien gagné électoralement.

Et pourtant. Ce qui se passe dans nos prisons a un impact direct et fort sur la société, qui ne se limite pas à la brûlante question de la lutte contre la radicalisation jihadiste. Chaque citoyen doit en prendre pleine conscience. Les politiques sécuritaires de la droite et de l’extrême-droite qui se résument à vouloir emprisonner tous les délinquants et criminels (sauf, notablement, pour les crimes en col blanc) et tous les présumés terroristes, sont inefficaces et dangereuses.

Quel intérêt pour notre société d’enfermer des individus dans des prisons où leur dignité humaine est mise en question, avec pour seule perspective de les rendre plus violents, moins réinsérables et ainsi créer un terreau favorable à la récidive, voire à la radicalisation ?

Il est établi que la réinsertion sociale des personnes judiciarisées est un élément central pour garantir une société civilisée et plus sûre. Elle est l’assurance d’une lutte efficace contre la récidive et pour une pleine réintégration dans notre société.

Pour en avoir la preuve il suffit de regarder ce qui se passe dans d’autres pays.

Au Québec, depuis 2001 le ministère du travail et celui de la sécurité publique (en charge des établissements provinciaux) ont signé une entente interministérielle afin de permettre des services en employabilité dans les centres de détention du Québec. Cela vise à favoriser la réinsertion des personnes judiciarisées sur le marché du travail, préalable indispensable à une réinsertion dans la société.

Depuis la signature de cette entente, 17.500 détenus ont bénéficié des services en employabilité dans les détentions à travers la province du Québec. Près de 80% des personnes libérées retracées ayant eu recours au service ont opéré une action de réinsertion sociale dans la société (études, travail, poursuite de leurs démarches de recherche d’emploi) et seulement 5% des personnes participantes retournent en détention.

À l’image de pays d’Europe du Nord qui connaissent les taux de criminalité les plus bas, la période de détention doit permettre de lutter contre la récidive et la marginalisation sociale.

Ces pays considèrent la privation de liberté comme une peine suffisante. Est-il nécessaire et efficace d’infliger une peine à la société toute entière en ne s’occupant nullement de la réinsertion des détenus ?

Les politiques carcérales sans finalité de réinsertion sont des échecs. Les sociétés les plus violentes et où la criminalité progresse le plus sont les sociétés sans politiques de réinsertion. À contrario, les pays où le taux de criminalité est le plus faible sont les pays qui investissent pour faire des centres de détention le lieu prioritaire de la réinsertion.Les conditions de détention sont un élément clé de la réussite des politiquesde réinsertion. Et avant même la détention, le sens de la peine, sa proportionnalité, doivent être pris en compte lors du jugement, car il s’agit bien de rendre la justice, non de punir aveuglément sans considérer les dommages collatéraux d’une punition excessive et incomprise.

Même aux Etats-Unis, où les taux de récidive sont extrêmement élevés, où la culture du tout sécuritaire punitif continue de dominer les politiques pénales et carcérales, Barack Obama a pris acte de l’inefficacité et de l’injustice intrinsèque de ce système. Il a choisi de faire d’une pierre deux coups pour s’attaquer au problème de la surpopulation dans les prisons fédérales et à celui des peines plancher condamnant à des peines de prisons excessives des crimes et délits liés à la consommation et aux petits trafics de drogue. Il a fait voter une réforme pénale puis a procédé à un très grand nombre de pardons présidentiels.

En vidant ainsi les prisons fédérales, le Président américain peut maintenant justifier le non renouvellement des contrats fédéraux avec des prisons privées. Cela ne peut qu’être un bon préalable à la mise en place de politiques de réinsertion efficaces. Car ceux pour qui la prison est source de profit n’ont aucun intérêt à investir dans la lutte contre la récidive.

En France, depuis 2012, la politique pénale et carcérale menée par la gauche est donc, loin des caricatures de la droite, la politique la plus réaliste et la plus efficace.

La réforme pénale Taubira, avec la suppression des peines planchers pour un retour à l’individualisation des peines, les peines en milieu ouvert, la contrainte pénale, permet de traiter le problème de la surpopulation des prisons en rétablissant pleinement les principes du sens et de la proportionnalité de la sanction pénale. Cette réforme renforce également les mesures d’accompagnement pour mieux préparer et suivre les sorties de prison et ainsi réduire les risques de récidive.

Les efforts entrepris actuellement par le ministre Urvoas pour améliorer les conditions de détention vont dans le même sens : des prisons qui cessent d’être des laboratoires du crime pour devenir des lieux de réinsertion.

Ces politiques doivent être poursuivies et amplifiées dans les prochaines années pour produire pleinement leurs effets.

Agir efficacement pour garantir une société plus sûre sur le long terme, c’est mettre en place des politiques ciblées et obligatoires de réinsertions économiques et sociales des détenus. On peut notamment valoriser et inciter à la réinsertion des détenus en permettant des remises de peine en fonction du niveau des actions de réinsertion entreprises.

Réduire l’emprisonnement à sa simple portée punitive, c’est créer un terreau favorable à la récidive et à l’escalade de la délinquance. Comment pourrait-on efficacement éduquer au respect des règles communes et à l’état de droit dans des zones où seule la loi du plus fort et de l’absence de droit est la règle ?

Une politique pénale et carcérale humaine et sociale, c’est tout simplement l’approche la plus juste et la plus efficace pour une société plus sûre.