Tribune publiée dans Le Huffington Post
L’impensable s’est produit. Barack Obama, ce président exceptionnellement charismatique, d’une élégance intellectuelle rare, redevenu très populaire, au bilan globalement positif malgré une situation politique complexe, aura pour successeur Donald Trump, ce professionnel de la célébrité bling bling, arriviste, démagogue, populiste, narcissique et inconséquent.
Connaissant bien les Etats-Unis pour y avoir longtemps vécu, je suis à la fois profondément choquée et pas totalement surprise.
Est-ce Donald Trump qui a gagné ou Hillary Clinton qui a perdu ? Les deux sans aucun doute.
Le vote Trump est d’abord un vote anti-système. Nombreux sont les électeurs d’Obama en 2008 qui ont choisi Trump en 2016. On les trouve parmi les Américains des classes moyennes et populaires qui vivent dans la peur du déclassement, ont souffert de la désindustrialisation suite à la mondialisation, et ne veulent plus d’un rêve américain qui n’existerait que pour une élite.
En 2008 ils avaient placé tous leurs espoirs en un candidat qui représentait un renouveau, qui promettait de changer le système. Il y a eu malentendu, ils avaient choisi de croire qu’Obama allait renverser la table, ils n’avaient pas entendu qu’il voulait en fait instaurer une nouvelle ère politique du meilleur compromis possible. Une belle aspiration qui s’est vite brisée sur la dureté d’un parti Républicain déjà extrêmisé par le Tea Party, dans un contexte de crise financière et économique aigüe. La déception a conduit au début de la cohabitation à partir de 2010. Cette cohabitation, avec un Congrès Républicain de plus en plus obstructionniste, a achevé de gripper un système institutionnel bien difficile à changer. Qu’Obama ait réussi à instaurer de nouveaux droits avec la réforme du système de santé, qu’il ait sorti le pays de la crise économique et réduit les inégalités n’aura pas suffi à apaiser la colère de ces électeurs ni répondre à leurs angoisses sur l’avenir de leurs enfants.
Alors en 2016, ils ont choisi de casser le système, en votant Donald Trump, le businessman milliardaire qui leur a promis de faire revivre pleinement le rêve américain en commençant par se débarrasser de l’establishment. Et tant pis s’il fallait pour cela mélanger leurs voix à celles du Ku Klux Klan.
L’autre ressort du vote Trump, celui qui nous a le plus effrayé pendant cette abominable campagne, celui que les sondeurs ont malgré tout sous-estimé, c’est la motivation identitaire centrée autour du modèle de la famille de classe moyenne, blanche, chrétienne et patriarcale. C’est ce mélange insupportable et explosif de xénophobie, racisme, antisémitisme et islamophobie, légitimé par un discours anti « politiquement correct » de Trump, dans un contexte de croissance démographique forte des minorités hispaniques, de lutte contre le terrorisme djihadiste, et de crise des réfugiés. Et il faut bien sûr y ajouter la misogynie sordide revendiquée par Trump. Après 8 ans d’un Président noir, il faudrait maintenant accepter qu’une femme accède à la Maison Blanche ? Voilà bien la preuve du déclin de l’Amérique… Make America Great Again !
Il n’y a pas que le FN qui se réjouit, Eric Zemmour doit se délecter à l’idée du nombre de livres nauséabonds qu’il va encore pouvoir vendre.
Bernie Sanders aurait-il fait mieux qu’Hillary ? J’entends déjà la gauche de la gauche française nous expliquer que face au populisme de droite extrême d’un Donald Trump, seul le populisme de gauche radicale d’un Bernie Sanders pouvait l’emporter. Est-ce vrai ? Difficile de l’affirmer, d’abord parce que Bernie Sanders n’avait déjà pas réussi à convaincre la majorité des électeurs Démocrates de la crédibilité de son projet. Ensuite parce que le report des voix de Sanders vers Hillary était annoncé depuis des mois comme supérieur au report des voix d’Hillary vers Obama en 2008.
Mais ce qu’a bel et bien révélé le phénomène Sanders, c’est qu’un grand nombre de Démocrates aspiraient eux aussi à un renouveau, voulaient croire que quelqu’un d’autre saurait mieux qu’Obama bousculer un système politique paralysé par des lobbies surpuissants. Et Hillary Clinton, sans aucun doute la candidate la mieux préparée à l’exercice du pouvoir qu’aucun candidat avant elle, est tout sauf un symbole du renouvellement politique.
Elle a fait une belle campagne, pugnace, plus sociale-démocrate que jamais dans l’histoire des candidats présidentiels Démocrates américains. Elle aurait sans doute été une grande présidente. Mais elle n’a pas généré suffisamment d’enthousiasme, elle n’a pas pu effacer les méfiances vis-à-vis de sa personne, accumulées au fil des décennies.
On pourra toujours essayer de refaire le match. Et si elle avait choisi Elizabeth Warren comme colistière ? Un ticket de femmes, voilà du jamais vu ! L’énergique sénatrice au franc parler du Massachussetts, pourfendeuse des puissants de Wall Street, défendant des politiques économiques et sociales à la fois résolument à gauche et bien plus réalistes que celles de Bernie Sanders, aurait peut-être pu apporter à Hillary cet enthousiasme des jeunes qui entraîne généralement la gauche vers la victoire.
Mais il ne sert à rien de spéculer. Les Américains ont fait leur choix. Il faut l’accepter.
Il est difficile de dire à ce stade quelles conséquences l’élection de Trump aura sur le parti Républicain, qui aura beaucoup de mal à procéder à une recomposition néanmoins nécessaire pour ramener son électorat vers les valeurs fondamentales et universelles que nous partageons avec les Etats-Unis.
Pour les Démocrates en revanche, le travail d’inventaire et de reconstruction est urgent. Il faudra être prêt à repartir au combat dans les meilleures conditions possibles, dès les élections intermédiaires de 2018.
En Europe et notamment en France, nous devrons tirer calmement et rapidement les leçons de cette élection, qui fait écho à la montée des populismes ultra-conservateurs, souverainistes et xénophobes en Hongrie, en Pologne, en Autriche, en Allemagne, en Grande-Bretagne, en France.
Pour les Etats-Unis et pour le monde entier, il ne nous reste plus qu’à espérer que, la victoire maintenant acquise, Donald Trump se souviendra qu’il a été Démocrate, à une époque pas si lointaine où il était simple électeur. Au risque de décevoir un électorat qu’il a sciemment déchaîné et désinhibé. Avec des conséquences encore plus imprévisibles que l’élection même de Donald Trump.