Ce que cache vraiment le bluff d’Emmanuel Macron sur l’avant-projet de réforme du code du travail

Tribune publiée dans Le Huffington Post

Les provocations sont tellement énormes dans cette « fuite » de la réforme du code du travail, publiée dans Le Parisien, qu’on dirait un coup de bluff pour mieux faire croire ensuite qu’on est capable de « compromis raisonnable ».

S’il y a une chose qu’on peut reconnaître à Emmanuel Macron, c’est qu’il sait maîtriser sa communication. Qui peut croire que la fuite de ce brouillon daté du 12 mai est un hasard, quand on sait qu’un document d’orientation va être proposé aux partenaires sociaux cette semaine?

Ce qu’on constate, quand on essaie de démêler le bluff et le vrai, c’est que les provocations sont uniquement à l’adresse des syndicats représentant les salariés, et qu’au contraire ce qui pourrait fâcher le MEDEF est présenté avec des pincettes.

– Proposer de négocier le contrat de travail, la durée du temps de travail, la santé et la sécurité au niveau des accords d’entreprises alors que nous avions sanctuarisé ces champs au niveau de la loi seule;

– Proposer d’affaiblir les branches au point de les rendre rapidement obsolètes;

– Proposer le référendum à l’initiative du chef d’entreprise sans préciser le rôle qu’auront les syndicats dans le processus;

– Proposer un plafond couperet pour les indemnisations aux Prud’hommes plutôt que le barème indicatif actuel;

– Proposer l’étatisation de l’assurance chômage qui supprime la gestion par les partenaires sociaux, par ordonnance plutôt que par projet de loi normal;

Tout cela, le Président le sait, provoquerait un blocage massif du pays par des manifestations organisées par tous les syndicats, de la CFDT à la CGT en passant par FO, comme on l’a vu l’année dernière lors de la loi El Khomri. Et tout d’un coup la dureté du 49-3 paraîtrait comme une marque de respect pour la démocratie parlementaire comparée à la violence d’une telle réforme par ordonnances.

D’autant que l’une des rares mesures d’approfondissement de la démocratie sociale demandée de longue date par les syndicats de salariés et qui fâcherait le MEDEF, l’amélioration de la représentation des salariés dans les conseils d’administration, est une proposition bien timide.

Je n’ai rien contre simplifier le code du travail, bien au contraire, je pense que c’est souhaitable surtout pour les TPE et PME. Mais simplifier ne veut pas dire affaiblir.

Je suis absolument pour le renforcement de la démocratie sociale au niveau des entreprises, mais pour moi cela veut dire renforcer la place des syndicats dans les entreprises et non pas les marginaliser. Cela ne veut certainement pas dire rendre contractuel tout le code du travail, ne plus garantir les droits fondamentaux par la loi et éliminer les branches.

J’ai vécu aux Etats-Unis longtemps, j’y ai travaillé dans le privé, dans de petites et grandes entreprises. Américaniser le code du travail français, ça peut peut-être créer des emplois, ce n’est même pas certain, mais ça ne créera pas de bons emplois bien payés et stables, ça créera surtout plus de précarité.

Il s’agit là d’un choix économique et social stratégique et fondamental pour l’avenir du pays.

Puisque le Président semble penser que sa réforme du code du travail doit passer par un jeu de poker menteur, je prends le pari que le document d’orientation qui sera présenté aux syndicats très prochainement sera beaucoup plus modéré, faisant ainsi la « démonstration de la capacité d’écoute du Président et de son gouvernement ».

Et surtout, cela permettra de faire passer pour un « compromis raisonnable » une réforme qui augmentera les flexibilités sans renforcer et peut-être même en affaiblissant les sécurités.

Une majorité écrasante de députés macronistes qui votent aveuglement les lois d’habilitation pour ces réformes par ordonnances, c’est sûr, ça irait vite. Mais est-ce que ça serait vraiment ce dont le pays a besoin pour plus d’efficacité économique grâce à plus de progrès social?

Pour y voir clair à travers cet écran de fumée, il faut des députés socialistes nombreux à l’Assemblée Nationale, constructifs toujours, et surtout très vigilants.