La laïcité offre les meilleures armes juridiques contre la diffusion des thèses islamistes

Le Monde

Tribune publiée dans Le Monde

À l’occasion de la Journée de la laïcité, le 9 décembre, les trois responsables du Parti socialiste, Olivier Faure, Corinne Narassiguin et Jérôme Guedj, rappellent le cadre juridique de ce principe républicain et proposent, dans une tribune au « Monde », de créer un « Défenseur de la laïcité », sur le modèle du Défenseur des droits.

La laïcité est devenue un dogme abstrait brandi à tout-va, pour prouver son attachement à la République en lui prêtant des pouvoirs qu’elle n’a pas, ou pour s’en prendre à une religion afin de l’exclure du champ républicain. Cette instrumentalisation suscite la méfiance voire le rejet envers la laïcité et la République universaliste qu’elle incarne. En parlant trop et mal de la laïcité, on abîme ce principe républicain dont nous avons pourtant plus que jamais besoin face à certaines fragmentations de notre société. Revenons donc aux bases, pour rappeler ce qu’est la laïcité, ce qu’elle n’est pas et comment on peut lui redonner tout son sens dans notre quotidien.

La loi de séparation des Eglises et de l’Etat promulguée le 9 décembre 1905 codifie le principe de laïcité, qui prend ses sources dans les Lumières de la Révolution française. Son article 1 « assure la liberté de conscience » et la liberté de culte, dans le respect de « l’ordre public ». C’est-à-dire la liberté de croire ou de ne pas croire, et la liberté de pratiquer sa religion dans le respect des libertés d’autrui. Son article 2 établit que la République « ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ». C’est la neutralité et l’impartialité de l’Etat à l’égard des religions.

L’essence de la laïcité est contenue dans ces deux articles. Ce n’est rien de plus, et c’est déjà beaucoup.

La laïcité n’est pas la liberté d’opinion, ni la liberté d’expression, ni la liberté de la presse. Ces libertés sont des droits constitutionnels établis depuis la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. La laïcité, ce n’est pas non plus l’égalité entre les femmes et les hommes, même si le cadre laïque facilite le combat féministe contre les obscurantismes religieux.

L’élaboration de la loi de 1905 s’est réalisée dans le tumulte et la confrontation. C’est pourquoi ses articles 31 à 35 prévoient la protection contre les pressions. Ils ont été utilisés pour poursuivre judiciairement, jusqu’à la condamnation, des cléricaux catholiques qui combattaient l’application de la loi. Depuis, cette loi est devenue une loi de paix civile.

En dépit de ce contexte particulier, la loi de 1905 fut élaborée pour s’appliquer également à toutes les religions. Nul besoin de la modifier pour l’adapter à l’islam. Par définition, elle protège déjà les musulmanes et musulmans dans leur droit de croire et de pratiquer leur religion, sans entrave ni pression. La laïcité est un principe universel et intemporel qui établit un cadre juridique protecteur des libertés de conscience et de culte. C’est ce qui en fait un principe éternellement moderne.

Pourtant, parce qu’elle touche à la fois aux convictions intimes et aux rapports de force entre le religieux et le politique, la laïcité est un principe vivant. L’interprétation de la loi de 1905 doit s’adapter au contexte contemporain en restant fidèle à son esprit originel. Il peut même être nécessaire de la compléter, comme avec la loi de 2004 sur le port des signes religieux ostensibles dans les écoles publiques. L’école est le lieu de l’apprentissage des communs, mais aussi celui de l’émancipation individuelle, où chaque adulte en devenir apprend à penser par lui-même, indépendamment de ses origines cultuelles et familiales. Pour ces raisons, l’école est régulièrement le terrain de combat des fanatiques, qui craignent plus que tout la liberté de penser.

Depuis le début du siècle, la laïcité est de nouveau bousculée, et d’abord par l’islamisme. Pas par l’islam, mais par cette idéologie politique qui vise à imposer une vision rigoriste de l’islam, selon laquelle la loi religieuse s’imposerait aux lois humaines. En République, seul le peuple est souverain. Il ne procède d’aucune transcendance. L’islamisme s’oppose au principe de laïcité, en s’attaquant à la séparation des Eglises et de l’Etat, à la liberté de conscience et à la liberté religieuse des musulmans eux-mêmes par l’interdiction de tout débat théologique.

C’est pour cela que nous, socialistes, refusons d’utiliser le terme « islamophobie ». Il a été promu par ceux qui utilisent la réalité du racisme et de la haine antimusulmans pour dénoncer toute critique de l’islam, pour qualifier les lois laïques de liberticides, et donc pour combattre la liberté de conscience, d’expression et même religieuse. Toute croyance, idéologie ou philosophie peut être moquée, dénoncée, combattue. En revanche, nul individu ne peut être inquiété pour sa foi, religieuse ou civique.

C’est l’islamisme qui nourrit la haine antimusulmans. C’est la laïcité qui offre les meilleures armes juridiques contre la diffusion des thèses islamistes. En ce sens, le gouvernement aurait dû saisir la justice, au nom de l’article 34 de la loi de 1905, pour poursuivre l’imam qui a amplifié la cabale fanatique contre Samuel Paty. Nous demandons que les procureurs reçoivent des instructions claires sur l’application des articles 31 à 35 de la loi de 1905 concernant les pressions sur les libertés de conscience et de culte.

La laïcité s’applique à toutes les religions. Dans le débat sur la fin de vie, qui touche à ce qu’il y a de plus intime et profond dans la condition humaine, toutes les religions exprimeront leur avis, éclaireront le débat en posant leurs arguments, mais aucune ne pourra prétendre modeler la loi à partir de leurs croyances.

Nous serons vigilants, comme lors du débat sur la loi sur le mariage pour tous, face aux pressions d’une frange intégriste de l’Eglise catholique. Faire respecter la laïcité, c’est établir que le religieux n’a aucune autorité naturelle sur le politique.

La laïcité fait partie du legs socialiste à la construction de la République. Pour être à la hauteur de notre héritage historique, notre responsabilité est de continuer à faire vivre ce principe fondamental, ciment des piliers de liberté, d’égalité et de fraternité dans la République.

Pour cela, nous proposons que le 9 décembre devienne un jour de fête républicaine consacré à la laïcité et à sa pédagogie. Nous proposons que les enseignants soient formés et accompagnés pour traiter la question du respect de la laïcité dans les comportements du quotidien, qu’ils soient protégés et soutenus dans les situations de conflit.

Pour garantir la bonne application de ces principes, nous proposons de créer un Défenseur de la laïcité, sur le modèle du Défenseur des droits. Réhabiliter la République universaliste commence par réhabiliter la laïcité pour ce qu’elle est, ni plus ni moins. Nous, socialistes, entendons y prendre toute notre part.

Olivier Faure, premier secrétaire du Parti socialiste et député de Seine-et-Marne ; Corinne Narassiguin, secrétaire nationale à la coordination et numéro 2 du Parti socialiste ; Jérôme Guedj, secrétaire national à la laïcité au Parti socialiste, député de l’Essonne.