La victoire totale du trumpisme : une défaite américaine, un défi pour l’Europe

Les présidentielles américaines n’auront finalement pas été serrées. Le résultat est net et la victoire de Donald Trump est totale. Il gagne le vote populaire et les États clés, disposera d’une majorité au Sénat et à la Chambre des Représentants, et avait déjà la Cour Suprême à sa botte.

L’ampleur de la victoire montre que c’est bien sa personne et la ligne politique qu’il incarne qui ont gagné hier. 

Depuis deux ans, il a mené une campagne anxiogène. Il a alimenté la peur de l’envahissement par des hordes d’immigrés forcément criminels et même mangeurs d’animaux domestiques. Il a surfé sur la transphobie en racontant à chaque meeting que les démocrates voudraient infliger des changements de sexe de masse aux enfants sans le consentement des parents. Il s’est vanté d’avoir mis fin au droit fédéral à l’avortement et multiplié les déclarations sexistes contre Kamala Harris. Il a joué avec les fractures identitaires en questionnant l’identité ethnoraciale de la candidate démocrate. Il a nourri les idées reçues des électeurs républicains et indépendants sur les politiques économiques forcément désastreuses, menées par les horribles gauchistes qui occupent la Maison Blanche depuis janvier 2021. Il a fait prospérer l’idée qu’il était le sauveur de la démocratie américaine, victime en 2020 des démocrates fraudeurs. 

Populisme, nationalisme xénophobe, complotisme, mensonges éhontés. Contre cela, les candidats démocrates, Joe Biden puis Kamala Harris, sont restés impuissants.

Le bilan économique positif de la présidence Biden a été sans effet. Au contraire, Donald Trump a bénéficié d’une forme d’amnésie post-traumatique de la période COVID. Son électorat a oublié dans quel état sanitaire, économique et social Joe Biden a récupéré le pays après la gestion désastreuse de la pandémie. Seule a survécu la mémoire d’une période économique pré-COVID durant laquelle leur pouvoir d’achat était plus élevé, et où la bonne santé économique du pays était attribuée à Trump.

La trop courte campagne de Kamala Harris, malgré l’enthousiasme initial généré par sa candidature en remplacement de celle de Joe Biden, n’a pas su rassurer les indécis des États clés, ni sur l’économie, ni sur l’immigration.

Les études électorales plus approfondies des prochains jours diront quelles sont les raisons de l’érosion du vote démocrate. Il est déjà clair que la mobilisation du vote féminin n’a pas suffit, et que le vote masculin issu des minorités a cruellement manqué.

Les démocrates continuent de payer politiquement le fait que, depuis la fin de la Présidence Obama, ils n’ont pas su construire un nouveau projet de société capable d’emporter massivement l’adhésion autour d’un nouveau récit du rêve américain qui répond aux enjeux du 21ème siècle.

Donald Trump a lui emporté l’adhésion d’une majorité d’Américains à un projet réactionnaire, de repli sur soi, de haine de l’altérité, de climato-scepticisme, d’isolationnisme, qui promet la prospérité économique par un mélange improbable de protectionnisme et de libéralisme sauvage.

Les insultes, les divagations, les condamnations judiciaires, la grossièreté et la vulgarité, rien de cela n’a entamé son socle électoral. Peut-être même au contraire, c’est l’homme d’affaires célèbre, excentrique, sans tabou et sans filtre, qui est tout sauf l’image du politicien classique, qui incarne le mieux l’antisystème. Un mythe du personnage Trump propagé par les media de l’empire Rupert Murdoch et le réseau social X contrôlé par Elon Musk.

L’assaut du Capitole du 6 janvier 2021, son admiration pour tous les despotes de la Terre, son souhait d’avoir des Généraux « comme ceux d’Hitler », rien de cela n’a inquiété ses électeurs. Peut-être même au contraire, c’est l’homme de poigne qui ne craint pas d’être autoritaire face à des adversaires politiques présumés corrompus qui parait le plus rassurant.

Cette victoire de Donald Trump est une défaite des États-Unis d’Amérique, de cette République née des Lumières, terre d’immigration, d’opportunité, de liberté, pays ami de la France et de l’Europe.

Elle nous rappelle que l’extrême-droite est une gangrène qui, une fois qu’elle a ouvert les portes du pouvoir, sait prendre racine durablement dans le coeur de l’électorat populaire comme d’une partie des élites. Elle peut devenir durablement la force normale d’alternance.

C’est une leçon pour la France et l’Europe. Cela doit aussi provoquer un sursaut.

Cette nouvelle Présidence Trump est un défi à relever pour l’Europe. Nous ne pouvons plus compter sur la constance du grand frère américain. Nous devons construire et affirmer notre propre puissance.

Protéger l’Ukraine et faire face à Poutine ; peser bien plus fortement dans la résolution du conflit israël-palestinien ; empêcher une invasion de Taïwan ; repenser la défense européenne avec ou sans l’OTAN ; repenser nos partenariats internationaux avec les continents émergents ; construire la souveraineté économique, industrielle, énergétique et sanitaire de l’Europe ; investir massivement dans la bifurcation écologique de notre continent et peser plus fortement sur la réalisation d’objectifs internationaux ambitieux ; être le continent de l’État de droit et du respect des droits humains fondamentaux.

Souhaitons à nos amis américains qu’ils retrouvent vite le chemin de leur réconciliation avec eux-mêmes. Soyons à leurs côtés pour les accompagner.

Mais traçons aussi notre propre chemin. Celui d’une France puissante dans une Europe souveraine, nouveau phare de la liberté, de l’égalité, de la fraternité et de la poursuite du bonheur.