Je suis une femme qui, depuis vingt ans, évolue dans des milieux majoritairement masculins : études scientifiques, métier d’ingénieur, engagement politique. Partout où je suis passée, je me suis fait ma place, j’ai saisi et créé des opportunités et poursuivi mes ambitions académiques, professionnelles et politiques, sans penser mon parcours comme un combat. En cette journée internationale de la femme, avec plusieurs années de recul et alors que les questions d’égalité femmes-hommes sont mises sous les projecteurs, je réalise pourtant que mon parcours est bien une expression, parmi des millions, de ce combat que mènent les femmes, partout dans le monde, pour le respect et l’égalité.
Enfant, j’ai eu une chance : celle d’être élevée par des parents qui m’ont toujours dit que je ferai ce que je veux, à condition de travailler pour m’en donner les moyens. Ils ne m’ont imposé aucun moule, aucune restriction, par rapport aux études ou aux métiers que j’envisageais. C’est probablement pour cela que, grâce au travail de nos aînées, et comme beaucoup de femmes de ma génération, je ne me suis pas sentie militante. J’avais seulement conscience d’être un individu avec des rêves et des ambitions, et surtout, le courage de les poursuivre. C’est à la fin de l’adolescence, quand j’ai quitté mon île natale pour la métropole – au moment d’entrer en classe préparatoire scientifique – que je me suis aperçue que je rentrais dans un monde essentiellement masculin. Un monde où les internats pour filles étaient rares et où, surtout, j’ai été dotée d’une identité non seulement géographique, mais aussi sexuelle – avant d’être Corinne, j’étais la « fille exotique ». Cette stigmatisation fut ma première prise de conscience.
La seconde remonte à mon installation aux Etats Unis, quand j’ai réalisé à quel point la France est en retard en matière d’égalité homme-femme dans le monde professionnel. Rétrospectivement, mon expérience professionnelle d’ingénieure télécom en France s’est révélée pleine de discriminations. Profitant du boom de l’internet, j’ai certes été embauchée rapidement en CDI et je n’ai pas eu à souffrir l’humiliation d’un salaire moins élevé que mes collègues masculins aux compétences égales. Et si, fort heureusement, j’ai trouvé sur mon chemin des collègues et des supérieurs hiérarchiques qui m’aidaient et m’encourageaient, j’ai dû plus que mes homologues masculins, chaque jour prouver que je savais faire mon travail. Il a fallu accepter, en plus, de ne pas avoir comme eux, le droit à l’erreur et le bénéfice du doute. Aux Etats-Unis et au Canada, les règles contre les discriminations dans le monde professionnel sont un pilier du droit du travail. Et elles sont appliquées ! Ma progression de carrière a donc été « normale »: mes compétences ont été et sont toujours reconnues sans que j’aie besoin de les revendiquer. Même l’atmosphère de travail est plus agréable, grâce à ce « politiquement correct » qui fait grincer certaines dents, mais qui oblige sexistes et racistes à respecter les règles du respect mutuel. Quel soulagement !
Mais, attention, les choses ne sont pas parfaites de ce côté de l’Atlantique non plus, et les femmes françaises qui vivent au Canada et aux Etats-Unis le savent bien. Lors d’une expérience d’expatriation, en couple ou en famille, les femmes sont souvent celles qui « fabriquent le foyer » (home maker comme disent les anglo-saxons). Elles sont confrontées aux innombrables défis que représente l’acclimatation des leurs à un nouvel environnement (santé, éducation, travail). Elles sont aussi nombreuses à sacrifier leur carrière, et la baisse concomitante de leur retraite, pour la réussite du projet familial. Dans certaines provinces du Canada et aux Etats-Unis, cette expérience reste difficile : les crèches françaises et les garderies québécoises laissent ces parents rêveurs ! En effet, sans structure publique pour la petite enfance, de nombreuses femmes arrêtent de travailler plutôt que d’engloutir leur salaire dans une crèche privée ou une solution de garde à domicile. Qui plus est, la société américaine tend à culpabiliser les femmes avec des enfants en bas âge qui restent professionnellement actives. Evidemment, le retour à l’emploi, après plusieurs années hors des circuits, est difficile voir impossible… Et pourtant… Beaucoup de ces femmes ne baissent pas les bras et s’investissent dans et pour la communauté, créent leur propre entreprise, lancent des projets qui, dans tous les domaines, contribuent à la richesse et à la diversité de notre communauté et de nos pays d’accueil.
Actives, dynamiques et tenaces, nous cherchons toutes cet équilibre précaire et instable entre carrière professionnelle, vie de famille et vie de femme. Dans chaque pays (France, Etats-Unis, Canada), nous avons beaucoup à apprendre les uns des autres. C’est dans ce transfert de connaissances et d’expériences et dans la défense des droits de toutes et tous que j’envisage mon rôle de députée des Français hors de France.
Avec Anne Hidalgo (première adjointe au maire de Paris) et Olga Trostiansky (secrétaire générale du Laboratoire de l’égalité et présidente de la CLEF)
C’est pourquoi je suis rentrée en politique, depuis l’étranger, dans un parti politique français, à une époque où le manque criant de femmes était devenu une préoccupation de premier plan. J’ai, en ce sens, bénéficié de la volonté politique du Parti Socialiste d’encourager les femmes à s’engager, et aussi, bien sûr, de l’ouverture d’esprit de militants de gauche tournés vers le monde. Etre femme en politique serait-il devenu une normalité ? Pas si sûr… Mais c’est pourtant l’objectif du Parti socialiste et d’Europe Écologie Les Verts, dont je porte avec fierté les objectifs d’égalité homme – femme. Car cette égalité n’est toujours pas une réalité de fait, et je ne l’ai pas toujours trouvée dans mon activité politique en dehors du parti… À l’Assemblée des Français de l’Etranger, où je siège depuis 2009 (28% de femmes), et lors de rencontres publiques ou officielles, certains confondent encore compliment et condescendance. Et je regrette que les femmes subissent encore les commentaires et lubies sexistes des un(e)s et des autres : référence à l’apparence physique, au statut marital, à la hauteur de talons ou à la couleur des chaussettes. Fascinantes questions de politique, n’est-ce pas? Malheureusement la chose à retenir est moins frivole : la France se place en 65e position en termes de présence des femmes dans la première chambre législative au niveau mondial et elle est au 19e rang des pays européens.
Comme je le disais récemment à Women Tomorrow dans une récente entrevue, faire de la politique en tant que femme, cela reste un combat!
Si je reviens ainsi sur mon parcours personnel à l’occasion de la Journée internationale de la Femme, c’est pour vous montrer à quel point je suis consciente que, si je suis élue à l’Assemblée Nationale française, je devrai me battre. Je devrai me battre pour être pleinement respectée de tous mes collègues et surtout, je devrai me battre pour faire avancer les droits des femmes, des citoyennes, des collègues et des mères – pour une égalité de droit et de fait pour toutes, en métropole, dans les territoires d’Outre-Mer, comme dans chacune des circonscriptions des Français de l’Etranger. Je devrai me battre aussi contre la violence, la précarité et la pauvreté qui, dans la première circonscription des Français de l’étranger comme dans le reste du monde, touchent d’abord et toujours les femmes plus que les hommes. Je devrai me battre aussi pour que les jeunes filles d’aujourd’hui, aient accès aux mêmes possibilités que les jeunes garçons. Pour qu’elles puissent disposer de leur corps et de leur esprit de façon autonome, que leur parole soit entendue et leurs choix respectés. Pour que mon parcours ne soit pas qu’un exemple, mais devienne la norme.
C’est pourquoi je suis fière de m’engager à porter les propositions du Laboratoire pour l’égalité pour faire avancer l’égalité entre les femmes et les hommes :
1. Sur la parité et l’accès des femmes aux responsabilités :
– réserver le financement aux partis qui présentent 50% de candidates aux élections ;
– légiférer sur la parité dans toutes les instances de décision publiques et privées.
2. Sur l’égalité salariale et la lutte contre la précarité dans le travail :
– faire appliquer les lois sur l’égalité professionnelle assorties de sanctions financières ;
– pénaliser le recours au temps partiel subi.
3. Sur la valorisation de l’implication des pères et la conciliation des temps de vie :
– allonger le congé paternité ;
– créer 500 000 places d’accueil de jeunes enfants.
4. Sur le partage d’une culture de l’égalité :
– lutter contre les stéréotypes sexistes dès le plus jeune âge et former le personnel éducatif ;
– lancer une campagne d’intérêt général sur la lutte contre les stéréotypes de genre.
Enfin, puisque le projet de justice sociale que je porte est un projet de lutte contre toutes les discriminations, j’invite tous ceux qui le partagent, quel que soit leur genre, à agir tous les jours pour faire de la France et de nos sociétés d’accueil des sociétés plus justes. C’est tous ensemble que nous y arriverons, et si je suis élue, vous pourrez compter sur moi pour porter ce mouvement au sein de l’Assemblée nationale et de notre République. Après tout, n’est-ce pas à elle, figure féminine par excellence, de porter l’étendard de la non-discrimination, en ce 8 mars comme chaque jour de l’année?