Les défis du PS face au Front national

Tribune publiée dans Mediapart

Le paysage politique français est devenu durablement tripolaire. En une vingtaine d ‘années, sous des gouvernements de gauche comme de droite, la montée du FN est passée d’un vote de colère à un vote d’adhésion. Renverser cette tendance lourde exige volonté et courage politique dans la durée. Pour le Parti socialiste, l’objectif ne peut pas être uniquement de détourner les Français du Front national, il doit être de redonner envie aux électeurs de voter socialiste.

Ne faisons pas l’erreur commise par Nicolas Sarkozy, qui depuis la campagne de 2007 s’échine à définir l’UMP en fonction du FN. Tout ce qu’il a réussi à faire, c’est donner de la crédibilité aux thématiques du FN et augmenter la porosité entre les électorats UMP et FN. Il s’agit au contraire d’affirmer nos valeurs et de les traduire concrètement dans une ligne politique claire, sur les priorités économiques, sociales et écologiques, face à la question identitaire, et pour combattre de front la réalité d’un bloc réactionnaire.

On l’a encore vu lors des élections départementales, l’abstention et l’émiettement à gauche amplifient mécaniquement le vote FN. Pour répondre à cela, il faut bien sûr des résultats dans la lutte contre le chômage, et le congrès du PS devra permettre de trancher clairement la question de la meilleure politique économique, industrielle et budgétaire. Au delà, le PS se doit d’être ambitieux et crédible face à la désespérance sociale et au sentiment de relégation, en se recentrant sur ses priorités naturelles : l’éducation, la solidarité par la lutte contre toutes les inégalités dont la fracture territoriale, le défi écologique, la qualité des services publics, la culture, la politique d’intégration, le fonctionnement de la démocratie citoyenne et de la démocratie sociale. C’est sur ces politiques que le PS peut rassembler à nouveau toute la gauche et faire sortir ses électeurs de l’abstention.

Pour autant, il ne suffira pas de mettre fin au chômage de masse ni de réduire les inégalités pour évacuer la tentation du vote FN.

Car ce vote FN s’explique aussi par des malaises multiples et multiformes au sein de la société française. La gauche, et en premier lieu le PS, est restée trop longtemps absente des débats touchant à l’identité. Ce mot trop souvent tabou à gauche est maintenant entièrement défini par la droite et l’extrême-droite. Il nous faut prendre à bras le corps cette question essentielle : que veut dire être Français dans la France pluriculturelle et multiconfessionnelle d’aujourd’hui, dans une construction européenne devenue trop illisible par manque de souffle idéologique, dans la mondialisation des échanges économiques et des flux migratoires, dans un contexte géopolitique bouleversé et sans cesse changeant depuis la fin de la guerre froide ? Les Français attendent de nous des réponses claires et fortes. Nous ne manquons pas d’analyses ni de propositions, mais personne ne les entend. En restant trop timides nous avons laissé s’installer un désert dans laquelle la voix tonitruante de Marine Le Pen est la seule à être audible.

Ce faisant, ces questionnements sur l’identité ont libéré une parole xénophobe, raciste, islamophobe, antisémite, homophobe, sexiste. Un bloc réactionnaire s’est solidifié, de la Manif pour tous aux résultats électoraux du FN. Ne nous voilons pas la face, il y a des Français racistes, islamophobes, antisémites, homophobes, sexistes, et ils n’en ont pas honte, ils le crient dans la rue et dans les urnes. Ce n’est pas par hasard si le FN attire et accueille en son sein autant de candidats capables de dire publiquement des horreurs, et ce n’est pas par accident si de nombreux Français votent pour eux. Soyons lucides, même dans notre électorat, la tentation de justifier les discriminations existe.

Cette réalité là, nous n’avons plus le droit de l’ignorer. En cachant cette laideur qu’on ne veut pas voir, on laisse la gangrène de la peur et de la haine de l’autre se développer au sein de la société française. Il n’y a pas de fatalité des identités meurtrières, car dans la République la citoyenneté doit transcender la multiplicité des identités chez l’individu comme dans la société. Le Parti socialiste a la responsabilité de redonner du sens et du contenu aux valeurs de la République, à partir de ce qui fonde la pensée socialiste française depuis Jaurès : l’humanisme, l’internationalisme, la laïcité.

Nous n’échapperons pas non plus à la question de notre propre renouvellement, pour répondre à la crise de confiance entre les Français et la classe politique. Le temps des vœux pieux est dépassé et même nocif. A toutes les élections, le PS doit se donner les moyens de présenter des candidats qui soient représentatifs de la diversité de la société française, en termes d’âge, de genre, d’origines sociales et ethniques, de parcours professionnels.

Le chemin est long et les obstacles nombreux. La droite démontre chaque jour qu’elle n’a pas les réponses ni aux préoccupations des Français ni à la montée du FN. Parce que nous sommes au gouvernement et parce que nous sommes la colonne vertébrale de la gauche, le Parti socialiste est seul en capacité de remettre la France à l’endroit, en redevenant le cœur battant de la gauche. A nous d’être à la hauteur de nos propres exigences.