La gauche « unie » pour critiquer Hollande : une tactique irresponsable et suicidaire

Tribune par Elsa Di Méo et Corinne Narassiguin, publiée dans Le Plus L’Obs

Jean-Luc Mélenchon prône une unité bien à lui qui signifie partir en solitaire à la présidentielle sans passer par la case primaire, quitte à disloquer le Front de gauche.

Pour le Parti communiste de Pierre Laurent, l’unité est un chemin aussi étroit que sinueux entre conservation d’élus et de militants.

Pour EELV, unité rime avec petite primaire dans son coin dans l’espoir de survivre à ses déchirements. Les frondeurs du PS crient de plus en plus fort « unité » à mesure que les candidatures se multiplient dans leurs rangs. L’unité n’est que diversion à leur incapacité à se mettre d’accord.

Pour Emmanuel Macron, unité veut dire chercher si être de gauche, c’est aussi être de droite.

Derrière ces apparats, ils sont tous unis par une même tactique : critiquer François Hollande, et par une même stratégie : parier sur la défaite de la gauche en 2017 pour devenir chef de l’opposition et candidat naturel de la reconquête en 2022.

Quelle énergie passée à cibler sa propre famille !

Ils se trompent. Tous. Lourdement.

L’unité de la gauche n’est pas que tactique. Elle est une aspiration profonde du peuple de gauche qui, dans la période de remise en question majeure de nos fondamentaux, sait qu’il y a urgence.

L’unité de la gauche ne peut pas être un faux-semblant quand les crises économiques, sociales, migratoires et environnementales se multiplient, quand les fondements de la République et de la démocratie sont bousculés.

L’unité de la gauche doit s’entendre comme la hiérarchisation des adversaires, voire des ennemis. Quelle énergie passée à cibler sa propre famille quand le nationalisme est aux portes de l’Europe !

La palme revient à Montebourg

C’est le sens de la Belle Alliance populaire. À ce titre, il faut saluer ceux qui choisissent de s’inscrire dans le processus de primaire de La BAP dans l’optique d’un rassemblement dès le premier tour. Mais il faut bien déplorer le choix d’une campagne défaitiste, dont la seule cible est la politique gouvernementale, ignorant totalement le combat contre la droite et même contre l’extrême-droite.

La palme revient à Arnaud Montebourg, qui s’il admet à contrecœur que la condition élémentaire d’une primaire est d’accepter de soutenir le vainqueur, persiste à nier à François Hollande la légitimité d’être candidat.

Aucune tactique ne justifie de perdre le sens des choses. D’oublier les leçons de l’histoire.

Une politique de la terre brûlée irresponsable et suicidaire

Mais puisqu’ils ont fait le choix de la tactique, parlons-en.

Croire qu’une élection est jouée huit mois à l’avance en confondant sondages et suffrages, ça manque singulièrement de mémoire et de sens politique. Intégrer la défaite annoncée de la gauche pour mieux se proposer en champion de sa reconstruction, c’est une politique de la terre brûlée irresponsable et suicidaire.

Quand on part en campagne fractionné et déjà battu, on s’assure une défaite collective encore plus sévère, car on encourage l’abstention chez un électorat de gauche dégoûté par notre incapacité à nous rassembler sur l’essentiel.

L’élimination dès le premier tour ne sera alors pas juste attendue. Elle sera dévastatrice.

Une duel droite/FN serait un résultat démocratique légitime

Nous ne sommes plus en 2002. Le duel droite/FN au second tour de l’élection suprême ne sera pas vu comme un accident, mais comme un résultat démocratique légitime qui se prolongera aussi dans les résultats des élections législatives à suivre. En supposant que les électeurs de gauche seront assez massivement motivés pour choisir la droite extrémisée face à l’extrême droite, le chef de l’opposition sera Marine Le Pen.

La gauche parlementaire, elle, sera réduite à une poignée de rescapés inaudibles. La contagion de la marginalisation se propagera alors d’élection locale en élection locale, jusqu’à l’insignifiance.

Il ne s’agira alors pas de préparer 2022, mais 2032.

Tuer la gauche, c’est dangereux

Ce n’est pas de la politique fiction, pas du catastrophisme. C’est tout simplement une extrapolation de ce que la gauche vit déjà dans certains territoires, comme en Provence-Alpes-Côte d’Azur par exemple.

Est-ce que la désunion de la gauche, au bilan partagé, respecté et respectable a été utile à la gauche et au peuple de gauche dans cette région ? Demandez aux parents qui n’ont plus les tarifications de cantine scolaire en fonction de leurs revenus ce qu’ils en pensent.

Est-ce que la gauche de la gauche est en reconstruction sur le champ de ruines de la gauche désunie, pourtant globalement devancée de très peu par la droite aux dernières élections ? Nous sommes en PACA aujourd’hui tous aussi inaudibles les uns que les autres. En laissant s’installer la normalité d’un second tour entre droite et extrême-droite, on ne donne plus aucune raison aux électeurs de s’intéresser à la gauche, quelle que soit sa sensibilité.

Vouloir reconstruire la gauche en commençant par tuer la gauche, c’est non seulement dangereux pour la gauche, c’est aussi livrer durablement le pays au bloc réactionnaire. Tout ça pour quelques mauvais petits calculs politiciens.

Donner la priorité à l’intérêt collectif sur les intérêts personnels, c’est bien une valeur fondamentale de la gauche, non ?