Tribune publiée dans Le Huffington Post
L’appel au calme de Théo n’a pas été entendu. Ce jeune homme, malgré le calvaire qu’il a vécu, fait montre d’une grande dignité et d’un admirable sens des responsabilités en appelant « à ne pas faire la guerre » et à « rester unis ».
Les incidents violents se sont poursuivis cette nuit en Seine-Saint-Denis. Ce n’est pas la première fois dans notre pays que des violences policières entraînent des réactions violentes dans des quartiers où les relations police-population sont de manière récurrente une tension et une méfiance réciproque. La méfiance peut devenir défiance.
Ce que nous raconte Théo, si les faits sont confirmés par l’enquête judiciaire en cours, est d’une violence inouïe, une volonté d’humilier de la pire des façons, le viol.
Pour le corps policier tout entier, la lumière doit être faite entièrement et rapidement afin de ne pas se laisser s’installer une forme de suspicion voire de défiance envers l’institution. L’immense majorité des policiers qui font leur travail de manière irréprochable et souvent dans des conditions difficiles ne méritent pas d’être salis par une poignée de leurs collègues qui auraient perdu le sens de leur mission au delà de l’entendement.
Personne n’a intérêt à prolonger ce cycle infernal. Il y a seulement quelques jours, de nouvelles interpellations ont eu lieu dans l’affaire des policiers attaqués au cocktail Molotov dans leur voiture à Viry-Châtillon.
Dans ces deux affaires tragiques, c’est à la justice de faire son travail en toute transparence et en toute sérénité. A chaque fois, les crimes et délits avérés devront être punis sévèrement.
Ce que nous renvoient les habitants des quartiers populaires à travers notamment les associations, c’est que les habitants souhaitent être protégés par les forces de l’ordre. C’est un signe de confiance qui ne doit pas être trahi.
Est-il déjà trop tard pour réussir enfin ce que nous avions entrepris sous Lionel Jospin avec la police de proximité ?
D’un côté, il y a des policiers surmenés par la lutte contre le terrorisme en sus de leurs missions quotidiennes de gardien de la paix et de lutte contre toutes sortes de trafics.
De l’autre, il y a des jeunes et moins jeunes, hommes et femmes, d’origine maghrébine ou noire africaine qui se sentent en permanence ciblés par des contrôles d’identités vécus comme des délits de faciès.
Doit-on attendre des tragédies encore plus graves, comme celles que vivent les Etats-Unis et qui ont donné naissance d’un côté au mouvement « Black Lives Matter », et de l’autre à la résurgence des groupes suprémacistes blancs qui soutiennent Trump?
Quand on voit la désinvolture avec laquelle Marine Le Pen parle de l’agression de Théo, ou la grande prudence de tout le reste de la classe politique, y compris à gauche, pour décrire ce qu’a vécu Théo comme une anomalie incompréhensible, un faits divers exceptionnel, plutôt que comme le symptôme d’un mal profond, on peut s’inquiéter.
Pendant 10 ans de Sarkozysme (de la Place Beauvau à l’Elysée), la logique d’une police tournée vers le tout sécuritaire a prévalu, avec de moins en moins d’effectifs et de moins en moins de moyens.
Depuis le début du quinquennat, nous avons travaillé à réparer les dégâts: embauches, formations, équipements. C’était absolument nécessaire, ce n’est pas encore suffisant. Il faut bien sûr continuer à embaucher et donner les moyens aux policiers de travailler dans de bonnes conditions. Et former. Formation initiale évidemment, mais aussi formation continue, qui sensibilise les policiers à la question des discriminations, à une meilleure gestion des rapports de rue, au discernement dans la pratique des contrôles d’identité.
Il faut aussi généraliser au plus vite les caméras piétons.
Enfin, il faut inventer les nouveaux canaux de communication entre la police et les habitants qu’ils ont pour mission de protéger. Mieux s’appuyer sur les réseaux associatifs pour rétablir un lien de confiance. C’est un travail de long terme, qu’il faut entreprendre avec urgence, pour la dignité du travail des policiers comme pour la dignité des habitants de nos quartiers populaires car ce qu’ils demandent dans leur immense majorité, c’est plus de République.