La commission des lois a adopté mercredi 5 février 2025 un rapport issu d’une mission d’information relative aux accords migratoires. Parmi ses préconisations figure la possibilité de dénoncer unilatéralement l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968.
Co-rapporteure de cette mission d’information transpartisane avec deux autres sénateurs Les Républicains et centristes, j’ai participé pendant plusieurs mois, depuis avril 2024, aux travaux de la mission : auditions, déplacement à Calais et réunions de travail.
Voyant que la préconisation des deux autres rapporteurs, soutenue par la majorité sénatoriale, allait trop loin avec la dénonciation de l’accord franco-algérien, j’ai choisi de quitter la mission au moment de la présentation des conclusions, et donc de ne pas avoir mon nom sur le rapport.
L’accord franco-algérien de 1968 fixe les conditions de circulation, d’emploi et de séjour en France des ressortissants algériens qui ne relèvent historiquement pas du droit commun mais d’un régime dérogatoire, et cela en raison des liens historiques, culturels et politiques qui lient les deux pays.
A travers plusieurs avenants, le statut spécial des Algériens s’est progressivement rapproché du droit commun. Aujourd’hui, il reste plus favorable sur certains points comme le regroupement familial, les titres de séjour longue durée. Il est cependant défavorable aux séjours pour motif étudiant par exemple.
J’ai pu obtenir que la mission se déplace à Calais, et je salue d’ailleurs les préconisations de la mission sur l’accord franco-britannique : obtenir du Royaume-Uni le financement du dispositif humanitaire déployé par l’État et les acteurs agréés, mettre conjointement en place les mécanismes légaux permettant aux mineurs isolés ayant des membres de leur famille au Royaume-Uni de les rejoindre et conclure un nouvel accord au niveau européen qui aurait notamment vocation à définir des voies de migrations légales ainsi que les modalités de coopération en matière de retours et de lutte contre les réseaux de passeurs. Ces demandes étaient celles des élus du littoral et elles sont criantes.
Je remercie en particulier les maires de Grande-Synthe et de Gravelines d’avoir partagé avec moi leurs retours d’expérience et expliqué le bien fondé de leurs propositions.
En effet, les auditions menées durant la mission ont mis en évidence que l’urgence relative à la situation migratoire aujourd’hui en France est liée à la situation dans le Calaisis. C’est à Calais et dans les communes limitrophes du littoral que se concentrent les véritables dysfonctionnements qui découlent de l’accord franco-britannique : ces hommes, ces femmes et ces enfants qui vivent dans des conditions dramatiques dans des camps de fortune, n’ont pas accès à l’eau potable, sont exploités par des passeurs peu scrupuleux. Ils n’ont qu’un objectif en tête : rejoindre le Royaume-Uni, ils tentent et retentent la traversée en risquant la mort. Et l’Etat français tente tant que bien mal de les empêcher de passer cette frontière, tout en sachant qu’ils sont prêts à laisser leur vie afin d’y parvenir.
La véritable urgence est dans le Calaisis, avec des tentatives de traversée qui s’étendent de plus en plus sur les côtes de la Manche jusqu’en Normandie. Notre préoccupation prioritaire devrait être les centaines de personnes qui meurent chaque année dans la Manche et pas la révision de l’accord franco-algérien de 1968. Cet entêtement n’avait aucun sens et aucun fondement.
Les socialistes ne s’opposent bien sûr pas à une évolution de l’accord de 68. Il peut et doit évoluer, cela a déjà été fait par deux fois sous un gouvernement de gauche.
Mais le caractère dérogatoire au droit commun de l’accord de 1968 reste justifié en raison de la profondeur des liens humains et historiques et l’imbrication des intérêts économiques, sécuritaires et politiques entre les deux parties. Cet accord est indissociable de l’histoire singulière qui lie notre pays à l’Algérie : une histoire complexe, dont nombre de nos concitoyens sont les héritiers. Il s’inscrit dans une histoire marquée par cent trente-deux ans de colonisation – dont huit ans de guerre d’indépendance – et six décennies de relations bilatérales sinueuses.
Personne ne peut nier que l’attitude de l’Algérie vis-à-vis de la France est actuellement problématique, l’Algérie n’a pas à refuser ses ressortissants expulsés de façon légale du territoire français. Mais l’escalade dans les provocations réciproques, l’instrumentalisation sur les deux rives de la Méditerranée de ce que Benjamin Stora qualifie de rente mémorielle, cela purement à des fins de politique intérieure en Algérie comme en France, dessert en réalité nos deux pays.
Si l’accord devait évoluer, comme cela est d’ailleurs demandé aussi bien par la France et l’Algérie, cela devra se faire dans le cadre de négociations via un retour de relations diplomatiques apaisées.
Or, depuis le début, j’ai eu l’impression que cette mission d’information était créée de toute pièce pour arriver à la conclusion de la nécessité de dénoncer l’accord. Comme si elle était un outil visant à légitimer les obsessions et agitations quotidiennes de Bruno Retailleau, ancien président du groupe Les Républicains au Sénat et actuel ministre de l’Intérieur.
Les auditions d’experts menées durant de nombreux mois n’ont pas mis en évidence de façon claire et unanime la nécessité de dénoncer cet accord franco-algérien. Cette proposition de dénonciation ne semble reposer sur aucune stratégie véritablement réfléchie, comme si la dénonciation de l’accord pouvait être une fin en soi sans jamais dire un mot sur le jour d’après la dénonciation.
Parce que je refuse que les Algériens et les Franco-Algériens soient les victimes du calendrier politique des Républicains et du calendrier personnel de Bruno Retailleau, j’ai choisi de m’opposer fermement à la préconisation du rapport relative à la dénonciation unilatérale de l’accord.
Aussi, malgré les nettes avancées que j’ai pu obtenir sur les accords franco-britanniques, j’ai choisi de quitter cette mission transpartisane.