Nicolas Sarkozy : une victoire à la Bush

Billet Blog

Par Corinne Narassiguin, Christophe Monier, et Franck Millan
Christophe Monier est Trésorier Fédéral de la FFE du PS, membre de la section PS de New York,
élu à l’Assemblée des Français de l’Etranger
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Franck Millan est membre de la section PS de New York

Nicolas Sarkozy n’a pas gagné par hasard, ni même par défaut. S’il faudra tirer sans complaisance les leçons de notre défaite, nous devons également nous pencher sur les raisons de la victoire de Nicolas Sarkozy. Car, ne nous en déplaise, Nicolas Sarkozy a bien réussi sa campagne, il a atteint ses objectifs. Il s’y préparait depuis cinq ans, et avait bien choisi son modèle : la machine de propagande montée par Karl Rove pour George W. Bush.

En effet, ce qui est frappant en rétrospective, c’est l’efficacité de la communication de Nicolas Sarkozy. Vu des Etats-Unis, la ressemblance avec la méthode Bush est indéniable.
Les Démocrates américains ont perdu les élections (présidentielles ou parlementaires) en 2000, 2002 et 2004. En 2006, ce sont les Républicains qui ont perdu, et non pas les Démocrates qui ont gagné, car la réalité de l’incompétence de l’administration Bush (l’ouragan Katrina, la persistance des échecs en Irak) était devenue trop difficile à maquiller.
Ces dernières années, c’est donc bien l’efficacité de la machine de communication de Bush qui a largement déterminé le résultat des élections nationales.

En 2000, face à un Al Gore peu sûr de sa stratégie (comment se réclamer des réussites économiques de l’Administration Clinton sans s’associer au scandale Monica ?), l’équipe Bush ringardise Al Gore avec une remarquable efficacité. Al Gore se trouve dépossédé de la présidence à cause de la débâcle de l’élection en Floride, alors qu’il avait les moyens de gagner sans équivoque.
A cette époque, les slogans se mettent en place, promettant ce que beaucoup ont envie d’entendre, mais cachant des politiques contraires : le conservatisme compassionnel, la loi « No Child Left Behind » (aucun enfant laissé sur le bord de la route), les programmes « Clear Skies Initiative » (Initiative Cieux Propres)  ou « Healthy Forests Initiative » (Initiative Forêts Saines) négociés avec les lobbies des industries qui combattent le protocole de Kyoto.
Les Républicains soignent également leur base évangéliste et isolationniste, en polémiquant sur des sujets complètement démagogiques : les immigrés illégaux venus d’Amérique Latine, le mariage homosexuel, les cellules souches, l’évolution darwiniste contre le design intelligent, l’avortement tardif (généralement autorisé pour raisons médicales).
A noter d’ailleurs la créativité sans vergogne des Républicains pour trouver des slogans qui frappent l’imagination : l’avortement tardif est rebaptisé avortement par naissance partielle (Partial Birth Abortion), l’impôt sur les successions est surnommé l’impôt sur la mort (Death Tax)…
La machine Bush, avec à sa tête Karl Rove, pilonne également les Démocrates sur leurs faiblesses supposées dans le contexte post 11 septembre : la Défense nationale, la lutte contre le terrorisme, le manque de courage pour un leadership fort (comprendre la préférence pour le multi-nationalisme et le compromis diplomatique plutôt que l’utilisation de la force brute de la puissance américaine).  Cette propagande est d’autant plus efficace qu’elle est couplée à une politique de la peur. Bush et ses disciples prédisent des champignons nucléaires dans les villes américaines en cas de victoire démocrate, systématiquement assimilée à une victoire des terroristes sur le patriotisme américain.
L’équipe Bush devient également maître dans l’art de baisser la barre des attentes de la population. De 2000 à 2004, ils arrivent à maquiller leurs échecs, et même à les faire passer pour des réussites : dans une situation impossible, Bush fait un travail extraordinaire.
Par ailleurs, Bush prend soin d’entretenir son image de président qui aime les choses simples, le barbecue et la pêche. Un type sympa, dévoué à sa famille, son pays et sa foi.

L’équipe Bush décline ses messages, de manière concertée et incroyablement disciplinée, en faisant passer aux medias « le message du jour » comme on vend un produit. Impossible de ne pas entendre ce que la Maison Blanche veut nous faire savoir. On entend et on lit les mêmes mots, les mêmes slogans, à la télé, dans les journaux, sur Internet, répétés par des politiques, mais aussi des analystes, des journalistes.
Ces slogans sont fabriqués par des spécialistes du marketing politique, et s’impriment dans l’inconscient du public. Résultat, lorsqu’on pense à un thème politique, ce sont les mots soigneusement choisis par la Maison Blanche qui nous viennent automatiquement à l’esprit.
En 2004, quand Kerry émerge des primaires démocrates, il est trop tard pour contrer la machine de propagande de Bush. Les Américains sont déjà persuadés que les Démocrates ne peuvent pas mieux faire en Irak ou dans la lutte contre le terrorisme, et ce handicap est très difficile à surmonter. Karl Rove arrive même à dépeindre Kerry, héros du Viêtnam, comme un lâche qui ne respecte pas les troupes de l’armée américaine. L’attaque est tellement énorme et odieuse que Kerry préfère répondre par un silence dédaigneux. Grave erreur. La calomnie lui collera à la peau jusqu’au bout. La préférence de Kerry pour des positions prenant en compte la complexité du monde est également exploitée comme un manque de clarté, voire un manque de colonne vertébrale.

Revenons en France. Si le contexte politique et les sujets prioritaires ou polémiques sont souvent très différents des Etats-Unis, Nicolas Sarkozy a semble-t-il bien compris comment les méthodes de communication de l’administration Bush peuvent lui servir.
Depuis cinq ans, il s’est appliqué à se différencier des gouvernements dont il était pourtant le numéro 2. Au démarrage de la campagne présidentielle, les Français avaient déjà bien assimilé que le Sarkozysme, ca n’a rien à voir avec le Chiraquisme. Nicolas Sarkozy pouvait donc sans problème incarner le changement, et même une forme d’alternance.
Il martèle ses thèmes, construit son image de politicien actif et pragmatique, à la recherche de résultats et au parler franc, un type proche des gens.
Il met ses troupes en ordre de marche, et pendant trois ans prépare sa campagne depuis la présidence de l’UMP. Il teste ses thèmes, ses slogans, définit sa stratégie pour récupérer les voix du FN tout en maintenant la discipline de la droite républicaine.
Au final, pendant la campagne, Sarkozy n’a même pas besoin de dérouler les détails de son programme. Il se paie même le luxe de faire campagne sans jamais publier nulle part la totalité de son projet, de faire du clientélisme et de promettre tout et son contraire sans paraître incohérent. Au-delà de la bienveillance des media à son égard, Sarkozy peut réussir ce pari parce qu’il a préparé le terrain depuis plusieurs années. Il lui suffit de quelques slogans, et les gens pensent savoir à qui ils ont affaire et ce qu’ils peuvent attendre de lui. Nul besoin de lui demander de s’expliquer dans le détail, la cohérence de son projet, c’est lui, et tout le monde le connaît.

En face, c’est à dire chez nous, le PS reste empêtré dans une rénovation toujours annoncée mais jamais accomplie, dans les raccommodages d’après referendum. Le PS donne l’image d’un parti à la recherche de son sauveur et de sa ligne politique.
Sarkozy n’en perd pas une miette et participe largement à populariser l’idée que le PS reste un parti archaïque et tumultueux, sans projet. Comme Bush, il a compris qu’il faut mettre en avant tous les déboires de ses adversaires, mais également leurs supposées faiblesses : les socialistes sont dangereusement dépensiers, mauvais en économie, partisans de l’assistanat (comprendre de l’aide aux paresseux) et adversaires du mérite, laxistes sur la délinquance comme sur l’immigration, etc.
Parallèlement, Sarkozy entretient la peur de la délinquance en traitant les jeunes des banlieues de racaille, et se pose en premier flic de France qui met de l’ordre au Karcher. Pendant la campagne, il ose même se déclarer président des honnêtes gens, et accuse la gauche d’être du côté des fraudeurs.

Lorsque Ségolène Royal émerge des primaires, la rénovation tardive qu’elle lance en même temps que la campagne n’a pas la clarté des slogans Sarkozystes dont les Français sont déjà largement familiers : travailler plus pour gagner plus, la France qui se lève tôt, non à l’assistanat, la lutte contre les délinquants multirécidivistes, le bouclier fiscal, la suppression des droits de succession, l’immigration choisie et l’identité nationale…
Par ailleurs, il profite du procès en incompétence fait à Ségolène Royal pendant les primaires socialistes pour jouer sur cette carte jusqu’au bout, y compris en envoyant les femmes de l’UMP faire les attaques les plus misogynes.
La machine UMP est également bien contrôlée, personne ne parle de travers, tout le monde suit la ligne fixée par le chef, tout le monde récite les mêmes slogans.
Comme Bush, il manipule les attentes des gens en baissant la barre pour le débat présidentiel. Il réussit à émerger en vainqueur simplement parce qu’il accomplit l’exploit de ne pas s’énerver !
Bref, question communication Sarkozy ne néglige rien. Et cela lui donnera un énorme avantage tout au long de cette campagne. Les Démocrates américains ne s’y sont pas trompés, eux qui sont venus voir comment fonctionnait la campagne Sarkozy, mais n’ont pas songé à nous rendre visite.

Une fois élu, on voit que la méthode continue à bien fonctionner : tout est dans l’affichage.
Malgré le dérapage incontrôlé de sa communication au sujet du yacht Bolloré (un moment d’inattention dû a l’euphorie de la victoire sans doute), il fait la démonstration une fois encore de ses talents.
La journée de son investiture est un morceau d’anthologie, avec une mise en scène impeccable.
L’ouverture à gauche est également un coup de maître pour tuer le MoDem dans l’œuf et déboussoler le PS. Pourtant il s’agit indubitablement d’affichage, et pas d’ouverture politique véritable correspondant à une vision cohérente. Comment sinon expliquer qu’il ait pu proposer le Quai d’Orsay à Védrine pour ensuite le proposer à Kouchner ? On ne pouvait pas trouver deux socialistes plus différents en matière de politique étrangère.
A cela on peut ajouter les messages plus subliminaux mais bien repris par la presse, qui servent à construire la légende Sarkozy : la comparaison avec la famille Kennedy, le président actif qui fait du jogging avec son premier ministre…

Il est temps que le Parti Socialiste songe à professionnaliser sa communication. Nous ne pouvons pas nous permettre de laisser la machine de propagande Sarkozy tourner à plein pendant cinq ans. Il ne faudra rien laisser passer : pas une conférence de presse présidentielle sans réponse du PS, pas d’action du gouvernement sans proposition du PS pour améliorer ou contrer. Pas de critique du PS ou de ses dirigeants laissée sans réplique. Sinon en 2012 nous partirons de nouveau en campagne avec un gros handicap.