Les pistes pour encadrer les salaires des patrons

Les Echos font le point sur notre mission d’information

Par Laurence Boisseau | 01/10 | 07:00

Le Trésor a reçu une soixantaine de réponses à sa consultation publique. Patrons, investisseurs, autorités de régulation, juristes… de nombreux intervenants ont pris part au débat. La règle du « say on pay », le vote des actionnaires sur les rémunérations des dirigeants, continue de diviser.

Faut-il légiférer sur les pratiques de rémunération des hauts dirigeants ? Ou bien laisser les grandes entreprises s’autoréguler ? Le Trésor, qui a lancé une consultation publique cet été sur le sujet, est actuellement en train de dépouiller les 60 réponses qu’il a reçues des représentants patronaux, des sociétés émettrices ou de juristes pour pouvoir déposer un projet de loi cet automne. De son côté, Corinne Narassiguin, présidente-rapporteure de la mission d’information sur la transparence des grandes entreprises, a démarré la semaine passée ses auditions à l’Assemblée nationale.

Après avoir entendu des représentants de l’État, des membres de l’Afep et du  Medef se sont exprimés mercredi sur le sujet. Le message était très clair : selon le patronat, le code Afep-Medef, plus exigeant que la loi, est «  l’un des codes de gouvernance les plus avancés de toutes les économies de marché ». «  Certes, il y a eu des cas abusifs [allusion aux cas Valeo et Air France, NDLR] mais dans les faits, il a été respecté », a indiqué Marie-Ange Debon, présidente de la commission « droit de l’entreprise » du Medef. « Bien sûr, cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas bouger, le faire évoluer », a-t-elle ajouté.

Pour Paul Hermelin, le PDG de Capgemini, qui préside un groupe de travail à l’Afep sur les rémunérations, l’éthique et l’image de l’entreprise, s’il y a eu déficit, « c’est dans la communication et la gestion des écarts de certaines rémunérations par rapport aux règles ». Éventuellement, il pourrait y avoir un bureau de vérification, une sorte de haut comité qui veillerait au respect du code. Mais ce patron, proche de François Hollande, exprime sa méfiance vis-à-vis de tout cadre rigide qui porterait atteinte à la compétitivité des entreprises françaises, qui doivent pouvoir continuer à attirer et conserver des talents, et donc pouvoir les rémunérer au moins aussi bien que leurs concurrents. Toujours, selon lui, il est fondamental de maintenir la règle du «  comply or explain », se conformer au code ou, sinon, expliquer les raisons pour lesquelles on déroge à la règle.

L’AMF désigne les bons élèves

Sur la règle du «  say on pay » – le fait de soumettre les rémunérations aux votes des actionnaires -, méfiance aussi. « Les capitaux des groupes français sont dans les mains des investisseurs institutionnels étrangers qui se fient aux recommandations des agences de conseil en vote. Surtout à celles de l’américain ISS, dont les politiques de vote suivent des critères anglo-saxons », a prévenu Paul Hermelin. Attention donc à ne pas déresponsabiliser le conseil d’administration.

La veille, Gérard Rameix, le nouveau président de l’Autorité des marchés financiers, avait déploré le manque d’actualisation du code de gouvernance. « En outre, il ne peut plus être le fait que de l’Afep-Medef. Il faut y associer les investisseurs (individuels comme professionnels) », a-t-il déclaré. Gérard Rameix a aussi milité pour un contrôle renforcé de l’AMF sur ces sujets. Et s’est prononcé, lui, en faveur d’un « say on pay » consultatif, systématique et annuel. Le gendarme boursier va bientôt publier son rapport annuel sur la gouvernance des 60 plus grandes entreprises cotées à Paris. Pour la première fois, il donnera les noms des bons élèves… et des mauvais. Dans sa réponse écrite au Trésor, l’IFA, l’Institut français des administrateurs, a aussi précisé être partisan du vote consultatif. L’agence de conseil en vote, Proxinvest, préfère, elle, le mode contraignant. Elle réclame, en outre, que le vote des actionnaires sur les conventions réglementées devienne exécutoire, pour éviter que leur décision contre les indemnités de départ ne soit sans effet.

Aux affaires juridiques du ministère de l’Économie et des finances, les questions sur ce projet de loi sont de toute autre nature. « Jusqu’où peut-on légiférer ? », s’interroge Catherine Bergeal, directrice. « Car légiférer sur les entreprises privées se heurte à des principes constitutionnels », précise-t-elle. D’abord au droit à la propriété, celui des actionnaires. A la liberté d’entreprendre, ensuite. A la liberté contractuelle enfin, car la rémunération est un des éléments d’un contrat librement passé entre un employeur et un salarié. Une interdiction totale d’une forme de rémunération semble donc difficile. Par ailleurs, à partir de quand s’appliquera le nouveau droit ? S’appliquera-t-il aux contrats passés ? Aux contrats futurs ? Enfin, autre principe à respecter, l’égalité devant la loi. A titre d’exemple, le premier texte de loi imposant des femmes dans les conseils d’administration a nécessité une révision constitutionnelle.