Article pour l’Hebdo des Socialistes
Par Corinne Narassiguin et Thomas Philippon
Thomas Philippon est professeur d’économie à l’université de New York (NYU Stern),
auteur de l’ouvrage « Le Capitalisme d’héritiers. La crise française du travail » (2006).
Contrairement à certaines idées reçues, les Américains ont une vision positive des syndicats. Selon un sondage récent, la majorité d’entre eux pense que le rôle des syndicats est positif pour l’économie, les entreprises, et les travailleurs. Pourtant le niveau des adhésions stagne depuis 20 ans, autour de 9%. Cela est probablement dû au fait que le syndicalisme reste trop industriel et peine à s’adapter à la diversité du monde du travail actuel.
Un nouveau mouvement syndical a pourtant vu le jour aux Etats-Unis. Sara Horowitz, ancienne avocate en droit du travail, a en effet fondé le « Freelancers Union », syndicat pour les travailleurs indépendants (consultants, contractuels, artistes, etc.).
Aux Etats-Unis, comme la protection sociale est largement privatisée, les travailleurs dépendent principalement des plans santé et retraite offerts par leurs entreprises. Ce sont les entreprises qui négocient les termes des contrats auprès des compagnies d’assurance.
Les travailleurs indépendants, eux, doivent cotiser individuellement, ce qui est souvent très coûteux. Le Freelancers Union leur offre un moyen de mutualiser leur protection sociale : négociation de taux moins élevés auprès des compagnies d’assurance pour la couverture maladie, l’assurance invalidité, l’assurance vie. L’inscription au Freelancers Union est gratuite. Le syndicat se finance par de petites commissions retenues sur les contrats d’assurance signés par les travailleurs.
Fondé en 2003 pour la région de New York, le syndicat est maintenant en phase d’expansion nationale. Avec 20 millions de travailleurs indépendants aux USA, ce nouveau type de syndicalisme a un grand potentiel. L’objectif de Sara Horowitz va pourtant au-delà. Elle souhaite offrir un filet de sécurité pour la mobilité professionnelle, qui offre des garanties de protection lorsqu’un individu passe d’un emploi à un autre.
Le Freelancers Union fait du lobbying auprès du Congrès américain pour défendre ses membres, et soutient notamment une loi donnant aux travailleurs indépendants le droit à l’assurance chômage. Il se démarque pourtant du syndicalisme traditionnel en refusant la confrontation avec les entreprises. Certains travailleurs indépendants souhaiteraient pourtant voir leur syndicat intervenir activement auprès des employeurs, sur les questions de salaires, d’horaires et de conditions de travail. Cette aide syndicale serait d’autant plus utile qu’aux Etats-Unis, la régulation du monde du travail se fait largement sur des bases contractuelles.
Les syndicats traditionnels sont très intéressés par l’évolution du Freelancers Union, et ils y cherchent peut-être le moyen de faire augmenter leurs adhésions, et d’organiser les travailleurs non-syndiqués. Ce nouveau syndicalisme, à la fois groupe de pression, mutuelle de travailleurs, et réseau professionnel, est un outil supplémentaire de démocratie sociale dans un monde du travail qui change rapidement. Il pourrait être une des clés d’un nouveau syndicalisme de masse.