Tribune publiée dans Le Huffington Post
Premier pari réussi. Le choc de confiance voulu par François Hollande et Jean-Marc Ayrault n’en est sans doute qu’à son commencement, mais l’accord conclu entre les partenaires sociaux sur la sécurisation de l’emploi est une première étape qui pourra être un tremplin pour la suite. Taxation des contrats courts, sécurisation des parcours professionnels grâce à l’individualisation du droit à la formation, amélioration des mécanismes de portabilité de la couverture santé et prévoyance, création de droits rechargeables à l’assurance-chômage avec en contrepartie pour les entreprises une plus grande capacité d’adaptation aux difficultés économiques conjoncturelles : le périmètre du texte et son contenu constituent une véritable avancée vers une flexi-sécurité à la Française qui pourrait bien constituer la révolution tant attendue en matière de droit du travail.
Certes, l’accord n’est pas encore majoritaire, mais il augure en tous cas d’un changement en profondeur pour l’économie française, au bénéfice à la fois des salariés et des entreprises. Il est le premier pas dans le sens de la rénovation du dialogue social dont notre pays a tant besoin.
Cette rénovation a été l’un des axes directeurs de ma réflexion dans le travail que j’ai mené à la Présidence de la mission d’information sur la transparence dans la gouvernance des grandes entreprises, une mission dont le co-rapporteur est Philippe Houillon, député UMP du Val d’Oise.
Comment remettre en cause ce grand jeu de postures qui oppose syndicats patronaux et syndicats de salariés ? Comment sortir par le haut de ce rapport déséquilibré au profit des premiers en mettant à la disposition des seconds les outils de peser réellement, sans avoir besoin de recourir systématiquement à la grève ou au blocage par manque de moyens alternatifs?
La solution de l’équation ne pouvait être simple. Il fallait nécessairement que chacun fasse un pas vers l’autre, que chacun comprenne que ce pas qui pouvait apparemment paraître dangereux allait en réalité amener à une situation gagnant-gagnant. La flexi-sécurité, puisque c’est de cela qu’il s’agit, doit en effet permettre de faciliter l’adaptation des entreprises à la conjoncture économique tout en garantissant une sécurité nécessaire tant aux salariés qu’à la société toute entière. Car si leçon à tirer de la crise il y a, c’est sans doute que la France doit préserver à tout prix les stabilisateurs automatiques (ses filets sociaux, puissants facteurs de maintien de l’activité économique) qui lui permettent de limiter les dégâts en période houleuse, tout en améliorant le fonctionnement de son marché du travail.
Les dizaines d’heures d’auditions que nous avons menées entre septembre et décembre 2012 nous ont permis de constater qu’il existait une réelle volonté de la part des partenaires sociaux d’avancer vers une véritable démocratie sociale telle qu’elle peut se pratiquer en Allemagne ou dans les pays du Nord. Ce qui implique des efforts des deux côtés : les salariés doivent accepter une mobilité accrue, mais sans perdre la sécurité en termes de statut et de moyens d’existence ; le patronat doit accepter en contrepartie de laisser aux salariés et à leurs représentants un rôle renforcé dans la gouvernance des entreprises. Tant le rapport Gallois que la politique économique du gouvernement Ayrault vont dans ce sens.
C’est également une nouvelle légitimité pour le dialogue social que je souhaite défendre dans le rapport de la mission d’information que je déposerai dans la première quinzaine du mois de février devant la Commission des Lois de l’Assemblée nationale.
Bien entendu, ce rapport n’abordera que la question de la gouvernance des entreprises. Je suis pour ma part persuadée que ce volet devra rapidement être accompagné d’une réforme en profondeur du droit du travail, au bénéfice à la fois des entreprises et des salariés. Je sais bien que la droite a bien souvent caché sous le nom de réforme un détricotage des protections offertes aux salariés. Mais plutôt que de fuir la réforme sous ce prétexte, la gauche doit aujourd’hui se la réapproprier pour montrer qu’une simplification intelligente et progressiste du code du travail est possible.
Ne nous le cachons pas : la complexité de notre droit et en particulier la multiplication des types de contrats de travail n’est pas factrice de sécurité, mais plutôt de précarité pour les salariés. La hausse de la part que représente le CDD dans le total des contrats conclus doit nous alerter. La crainte des employeurs qui ont peur de s’engager à long terme avec des salariés est nuisible à la fois au salarié, qui navigue de CDD en CDD, et pour les entreprises, pour qui un turn-over excessif est contraire aux intérêts à long terme.
Je suis favorable à ce que nous revenions au CDI comme contrat par défaut, avec des conditions plus simples de rupture, plus simples, mais pas moins protectrices pour le salarié. Car un CDI même plus facile à rompre – ouvrant droit dans ce cas aux droits au chômage pour l’employé – reste toujours plus protecteur qu’un CDD. Le retour à un contrat unique ou quasi-unique (il faudra garder sans doute quelques contrats spécifiques pour des publics en difficulté particulière, comme avec les contrats d’avenir) permettrait de plus de rétablir une certaine égalité des salariés face aux actes de la vie courante tels que la location d’un logement ou une demande de prêt, autant de démarches extrêmement compliquées lorsque l’on est sous le régime d’un contrat précaire.
Ainsi, l’accès au CDI dès le premier emploi est au cœur du contrat de génération débattu actuellement à l’Assemblée Nationale.
Avec la création de ce contrat, François Hollande s’est engagé à lutter contre le chômage des jeunes et la sortie prématurée des seniors du marché du travail.
Les discriminations par l’âge, aux deux extrémités de la pyramide, sont une maladie française qu’il est urgent de soigner. À mes yeux l’objectif principal du contrat de génération est donc d’opérer un véritable changement de culture dans les entreprises: les employeurs doivent assumer leur rôle de formateur vis-à-vis des jeunes, et apprendre à valoriser l’expérience cumulée au long d’une carrière.
Cela ne signifie pas que le rapport de force dans l’entreprise ne doit pas exister. Il est évident que les partenaires sociaux continueront à défendre chacun leurs intérêts et que les syndicats de salariés doivent continuer à peser pour une répartition plus juste de la valeur ajoutée à l’intérieur de l’entreprise. Cela signifie que ce rapport de force ne doit pas faire oublier que les intérêts de chacun peuvent converger et ne peuvent être préservés à long terme que s’ils coïncident avec l’intérêt général de l’entreprise. Une utopie? Dans le cadre de notre modèle « libéral-financier » comme l’appelle Jean-Louis Beffa, peut-être. Mais un but tout à fait atteignable si nous avançons, comme je le souhaite, à l’instar du gouvernement, vers un modèle « commercial-industriel ».